Gallo muy bueno
titre original | "Tetro" |
année de production | 2009 |
réalisation | Francis Ford Coppola |
scénario | Francis Ford Coppola |
photographie | Mihai Malaimare Jr. |
musique | Osvaldo Golijov |
montage | Walter Murch |
interprétation | Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Klaus Maria Brandauer, Carmen Maura |
Le titre du film
Tetro est le surnom du personnage principal du film interprété par Vincent Gallo, de son vrai nom Angelo Tetrocini.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
À plus de soixante-dix ans, Francis Ford Coppola retrouve la créativité d'un jeune homme, contrairement à ses collègues générationnels comme Woody Allen, Martin Scorsese ou Brian De Palma qui, au même moment, sont en panne d'inspiration depuis plus d'une décennie. Il faut dire que des quatre, Coppola est sans conteste celui qui aura le moins tourné sur les quarante dernières années (de 1970 à 2010). Dès qu'il a senti l'entame d'un possible déclin à l'orée des années 90, il a préféré laissé passer les occasions plutôt que d'entacher sa filmographie avec des productions de commande où il aurait perdu son âme. Scorsese aurait bien fait de s'en inspirer (avant 2013 et le génial "Le Loup de Wall Street").
Il faut dire que très jeune, Coppola, pourtant éclos dans la pouponnière de Roger Corman, a été confronté à des budgets colossaux, ce qui n'a pas été pas le cas de Scorsese, qui n'a pas pu résister quand les dollars ont frappé à sa porte pour lui proposer de faire un cinéma qui n'était pas le sien. Il aurait d'ailleurs été intéressant de voir ce qu'aurait fait Coppola des "Infiltrés", d'"Aviator" ou de "Shutter Island". Les deux hommes suivent bel et bien des trajectoires opposées, car c'est parvenu à l'âge de la sagesse que Coppola se régale de sujets intimistes qu'il n'avait qu'effleurés au tout début de sa carrière avec "Les Gens de la pluie" (1969) ou "Big Boy" (1966). Une vaste question qui mériterait peut-être un plus long développement.
Si le style change, les thématiques restent les mêmes, et ce sont toujours les méandres de la sacro-sainte famille qui taraudent le réalisateur. Comme Michael Corleone (Al Pacino) dans "Le Parrain", le jeune Bennie (Alden Ehrenreich) est en quête de son identité. Le combat des deux hommes est cependant un peu différent. Là où Corleone doit s'affirmer au sein d'une famille trop pesante, Bennie lui, doit reconstituer le puzzle de la sienne. Le contexte et l'époque sont aussi complètement différents. Du Little Italy des années 1920, on bascule dans l'Argentine contemporaine. Il faut y voir un signe de la part de Coppola, qui nous signifie qu'en ces temps de mondialisation, le cinéma n'a désormais plus de frontières. Aussi, peut-être, l'aveu implicite que le Nouvel Hollywood qu'il a bâti avec Scorsese et les autres n'était qu'un mirage. Son précédent métrage, "L'Homme sans âge", était déjà situé hors des États-Unis. Le père de Coppola étant lui-même chef d'orchestre, on peut donc voir dans "Tetro" un retour introspectif romancé du metteur en scène sur sa propre histoire familiale. Se dégage de son film une étrangeté et une poésie à laquelle Coppola ne nous avait pas toujours habitué.
Un film salvateur qui nous montre que l'on peut faire encore des grands films à un âge avancé, comme Sidney Lumet l'a démontré à 83 ans avec "7h58 ce samedi-là", sans parler de Clint Eastwood toujours aussi créatif. Bravo aussi à Monsieur Coppola pour avoir sorti de l'ombre le ténébreux Vincent Gallo.
Coppola lives ! (la critique de Pierre)
Après une longue absence sur les écrans, Coppola est revenu à la mise en scène en 2007 avec "L'Homme sans âge". Deux ans après, il enchaîne sur "Tetro", présenté à Cannes en 2009 et salué par toute la critique comme son vrai grand retour.
Le pitch : Bennie, un jeune américain de 18 ans à peine, arrive à Bueno Aires pour retrouver son grand frère, Tetro (Vincent Gallo), qui a quitté sa famille et ne veut plus en entendre parler...
C'est peu dire qu'on est chez Coppola à fond les manettes. De ce côté, il est évidemment impossible de ne pas penser à "Rusty James", autre film en noir et blanc sur deux frères, dont les rapports sont très très similaires : un grand frère qui a une forme de génie, mais qui est un inadapté social et qui veut quitter le cercle familial, un petit frère qui vit dans l'admiration de son aîné. C'est tout pareil. Cela étant, on est encore plus ici dans l'autobiographie, car "Tetro" est un scénario écrit par Coppola seul, on y retrouve beaucoup de sa propre famille (le père est chef d'orchestre, comme celui de Coppola, etc.). Plein d'autres thèmes hérités des films précédents sont là : la figure de "l'ange déchu", récurrente chez Coppola, d'"Apocalypse Now" à "Dracula", ici incarnée par Vincent Gallo, l'errance urbaine ("Coup de cœur"), les rivalités au sein de la même famille ("Le Parrain"). Les figures de style aussi : le film se termine par une scène en montage alterné : un dialogue entre les deux frères, monté avec une scène de théâtre... Impossible de ne pas penser au final du "Parrain, 3ème partie".
Bref, on sent bien qu'on a affaire à du lourd, du dense, du sérieux. Il faut dire que les images sont d'une beauté éblouissante ; la photographie est vraiment très très artistique, c'est un plaisir constant. Et il faut le reconnaître : je n'aimais pas Vincent Gallo, mais ici, il joue, tout simplement, et il est absolument génial.
"Tetro" est donc un quasi chef-d'œuvre, on a manqué de peu le "Eyes Wide Shut" de Coppola. Pourquoi manqué ? Parce que ça dure peut-être un quart d'heure de trop, et qu'il y a un truc à la fin du film dans le scénario, que je ne révèle pas, mais qui m'a déplu et que j'ai trouvé inutile. Bref, on n'est pas passé loin du grand film de ces derniers mois, mais en l'état, "Tetro" reste un film à voir absolument, une vraie date dans l'œuvre de Coppola.
Marrant : à quelques semaines d'écart, Coppola et Scorsese ont sorti leurs derniers films sur les écrans. C'est amusant de voir comment ces deux-là - si souvent comparés - évoluent à ce stade de leur carrière. Désolé de creuser le même sillon encore et toujours, mais il n'y a pas photo : contrairement à Scorsese, Coppola ne veut rien prouver à personne, c'est un grand artiste, avec peu de moyens mais beaucoup de créativité et de liberté. Bravo à lui.