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Pauline Kael, critique de cinéma pour "The New Yorker"

Pauline Kael a résumé en 1968 le style des films hollywoodiens par la formule devenue célèbre : « Kiss Kiss Bang Bang ». Pour lapidaire et brève que soit la formule, elle traduit l'importance de l'action qui caractérise cette production, mettant en exergue l'importance des aspects techniques, la qualité des techniciens, la maîtrise technologique, qui ont fait et font ce cinéma : le scénario, la mise en scène, les images, le montage, la musique, le son et les effets spéciaux.

Pauline Kael n'hésitait pas, lorsqu'elle n'aimait pas un film - et il y en avait beaucoup (ses avis étaient souvent opposés à ceux des autres critiques) -,  à écrire des critiques virulentes avec son style très particulier, mélange d'argot et d'impressions personnelles sans aucune analyse "objective".

Extraits de l'ouvrage "Le Nouvel Hollywood" de Peter Biskind

Elle était un petit bout de femme, un petit oiseau qui ressemblait à l'administratrice d'un modèle collège pour jeunes filles de la Nouvelle-Angleterre. Son apparence, on ne peut plus commune, reflétait mal sa passion pour les conflits et son véritable génie de l'injure.
Son écriture pétillait d'amour du cinéma, et d'enthousiasme pour la nouveauté.
Si la politique n'était pas son truc, elle avait néanmoins de la sympathie pour les nouveaux courants de pensée, et ses articles sur les conflits qui opposaient metteurs en scène et studios avaient souvent le ton d'un Marx écrivant sur la lutte des classes. Elle était l'avocate des réalisateurs.
Elle était en guerre contre le "Crowtherisme" (du nom du critique de cinéma Bosley Crowther) et tentait de convaincre ses lecteurs que les films pouvaient aussi être des œuvres d'art et les metteurs en scène, des artistes.

En 1974, elle écrivit un article prémonitoire, mettant en garde contre l'influence de la télévision, de ses produits médiocres, et le risque de nivellement par le bas. Elle en profita pour s'en prendre aux dirigeants des studios, davantage préoccupés par la résurgence du star system que par la promotion de films comme "Conversation secrète" ou "Mean streets". Elle conclut en remarquant que les changements intervenus dans les sixties n'avaient fait que bousculer un peu l'emprise des studios, mais que contrairement à ce qu'avaient cru Arthur Penn ou Dennis Hopper, cette emprise était loin d'être anéantie. Au contraire même, cette déflagration lui avait plutôt permis de se revigorer.

Paul Schrader : le protégé
Pauline Kael le rencontra alors qu'il est étudiant en cinéma à la Columbia. Après son diplôme de fin d'études, en 1968, elle lui trouva son premier job, critique à la L.A. Free Press, d'où il fut renvoyé l'année suivante pour avoir éreinté "Easy rider". Puis elle l'aida à intégrer l'UCLA. « Pauline m'a sorti de nulle part », avoua Schrader. « Sans elle, jamais je n'aurais pu faire l'UCLA. Elle était mon seul lien avec le monde du cinéma. Je vivais dans la crainte qu'il lui arrive quelque chose. Que serais-je devenu si une voiture l'avait percutée ? »

Robert Towne : le flatteur
• "Bonnie and Clyde"
Ce fut elle la première à réaliser que la Warner avait de l'or entre les mains avec ce film qu'elle adora, et que les gens du studio étaient trop obtus pour s'en apercevoir. Elle tenait là le sujet de sa nouvelle croisade.
Elle rédigea une critique de 9 000 mots que The New Republic, pour lequel elle écrivait régulièrement, refusa de publier. Ce fut The New Yorker qui prit l'article, marquant ainsi les débuts d'une longue collaboration avec la critique. « Bonnie and Clyde est le film américain le plus furieusement américain depuis Un crime dans la tête », écrivait-elle. « Et le public va s'en rendre compte. »
En plus de son propre article, elle mena une campagne active pour réhabiliter le film. Elle avait toute une bande de complices, des critiques qui suivaient ses avis les yeux fermés et qu'on surnomma plus tard les "Paulettes". Elle réussit même à convaincre l'impitoyable Joe Morgenstern, qui avait qualifié dans Newsweek "Bonnie and Clyde" de « film sordide pour crétins », de le revoir. Une semaine plus tard, il publia un article revenant sur son appréciation initiale. Cela ne s'était jamais vu.
« La critique de Kael a été l'une des meilleurs choses qui nous soient jamais arrivées », dit le co-scénariste David Newman. « Elle a lancé notre film en réussissant à convaincre les gens que c'était plus qu'un simple film de gangsters. » Robert Towne (scénariste non crédité) ajoute que « sans elle, le film aurait crevé comme un chien ».
• "Shampoo"
Robert Towne et Warren Beatty firent tout pour séduire Pauline Kael et ils y parvinrent : elle compara le film aux œuvres de Renoir, d'Ophuls, de Bergman.
De la critique, elle était passée à la fraternisation, puis, peu à peu, au favoritisme. Towne sut la flatter, il la combla d'attentions, il lui fit du charme et son numéro porta ses fruits. « Kael était un serpent, mais Towne était le charmeur » dixit Buck Henry. Plus encore que Warren Beatty ou Hal Ashby, Towne fut le véritable héros du papier de Pauline Kael sur le film. Towne raconta ça et là que Kael et lui étaient intimes, qu'il lui avait expliqué ses intentions dans le détail, qu'il lui avait dit que "Shampoo" était une nouvelle version de "Sourires d'une nuit d'été". Et on retrouva effectivement cette comparaison dans la critique de Pauline Kael. « Pensez-vous que Kael ait trouvé seule ce qui se cachait derrière "Shampoo" ? » demanda Buck Henry. « La vérité, c'est que Towne lui a tout soufflé ! »

Stanley Kubrick
Elle détestait tous ses films, et plus particulièrement "Orange mécanique" (cf. sa critique publiée en janvier 1972 et intitulée "Stanley Strangelove") et "2001 : l'odyssée de l'espace".

Robert Altman
• "John McCabe"
Pauline Kael s'emballa pour le film, qu'elle qualifia de « chimère magnifique ».
• "Nashville"
Kael fit scandale en acceptant l'invitation du réalisateur à assister à une projection du premier montage du film. Elle publia immédiatement sa critique, "grillant" ainsi de plusieurs mois tous ses confrères. Cette stratégie, du Kael pur jus, était en fait destinée à éviter que Paramount ne coupe le film tout en les obligeant du même coup à mettre le paquet sur le plan marketing. Sa critique était d'un enthousiasme sans borne : elle qualifia le film d'« orgie pour les passionnés de cinéma » et écrivit : « J'étais assise là, tout sourire devant l'écran, le bonheur total. » Après cela, le studio fit le maximum pour promouvoir "le meilleur film d'Altman". Ce fut un échec au box-office, et cet échec, qui trahit le déclin des passions qui animèrent la première moitié de la décennie, marqua également les limites de l'influence de Kael.

Francis Ford Coppola
• "Le Parrain"
Elle écrivit que Coppola avait fait le meilleur film de gangsters jamais réalisé aux États-Unis.
• "Apocalypse Now"
Au cours du tournage, le réalisateur alla voir Pauline Kael qui, comme à son habitude, lui donna tout un tas de conseils. Elle pensait que l'utilisation de "La chevauchée des Walkyries" sur la séquence des hélicoptères, devenue depuis mythique, était une erreur. Coppola : « C'était vraiment madame je-sais-tout. Elle disait que cette musique avait déjà été utilisée par Lina Wertmuller. La vérité, c'est qu'elle commençait à se détourner de moi parce que je ne lui léchais pas le c... aussi souvent que j'étais supposé le faire. »

William Friedkin
• "L'Exorciste"
Elle détesta le film et se moqua de Blatty et de ses communications avec sa défunte mère.

Brian De Palma
• "Sœurs de sang"
Elle en fit une critique dithyrambique. C'était parti pour le jeune réalisateur !

Don Siegel et Sam Peckinpah
• "L'inspecteur Harry" et "Les chiens de paille"
Sorti à Noël 1971, "L'inspecteur Harry" fut un gros succès public, et finira par rapporter à la Warner 22 millions de dollars sur le seul territoire américain. L'accueil critique fut en revanche beaucoup plus froid, même s'il n'a pas été aussi unanime qu'on a pu l'écrire. Si des journaux comme le New York Times se montrèrent assez dédaigneux, Times le classa parmi les 10 meilleurs films de l'année, et même un magazine libéral tel que Rolling Stones en fit l'éloge.
Mais le coup de tonnerre vint du New Yorker, sous la plume de Pauline Kael. Si la mythique critique avait su apprécier la violence stylisée de "Bonnie and Clyde" ou du "Parrain", elle eut fort à faire en cette fin d'année : "L'inspecteur Harry" sortit en effet deux semaines après "Orange mécanique" et le même jour que "Les chiens de paille". Et elle n'hésita pas à qualifier le Siegel et le Peckinpah de films « fascistes », trouvant même des relents de racisme dans le premier.

Martin Scorsese
• "Mean streets"
À la sortie du film, elle classa d'emblée Scorsese dans la catégorie des talents exceptionnels. « Mean streets de Scorsese sort véritablement de l'ordinaire. C'est le triomphe d'une manière personnelle de faire des films. » Plus tard, elle le taxa de « meilleur film américain de 1973 ». Jonathan Taplin, le producteur du film, se rappelle : « Elle n'avait jamais écrit une critique pareille de toute sa vie. C'était incroyable. Dès le lendemain matin, les gens faisaient la queue devant les cinémas. Et quand Kael aimait un metteur en scène, les studios se mettaient immédiatement au diapason pour être dans le vent. Parce qu'à l'époque, ce qu'il fallait, c'était être branché. Il fallait avoir vu le film dont tout le monde parlait. C'était plus important encore que les résultats au box-office. »
• L'affaire du script de "Taxi driver"
Voici les propos de cette journaliste Julia Cameron expliquant la raison pour laquelle elle ne fut jamais créditée pour son travail de réécriture d'une partie du scénario du film : « Bogdanovich a pris Marty (Martin Scorsese) à part et lui a dit : « Si tu crédites Julia, Pauline (Kael) trouvera des défauts à ton film. » Kael était très possessive avec les metteurs en scène qu'elle "protégeait", et lorsqu'une femme se pointait à l'horizon, elle devenait vite jalouse. Je sais qu'un jour, elle a dit à Marty : « Fais ce que tu veux avec cette fille, mais surtout ne te marie pas avec elle pour payer moins d'impôts ! » Il y a eu beaucoup de saletés de ce genre. »

Steven Spielberg
• "Sugarland Express"
À la sortie du film en avril 1974, les critiques furent enthousiastes. Pauline Kael, en particulier, qualifia Spielberg de « pièce rare parmi les réalisateurs, un pro du divertissement », et elle décrivit "Sugarland Express" comme « l'un des films les plus phénoménaux de l'histoire du cinéma ». Malgré cela, le film fut un échec public.
• "Rencontres du troisième type"
Pauline Kael qualifia Spielberg de « magicien ».