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"1967-1980 : le dernier âge d'or du cinéma américain"

Article de Marie-Catherine Beuth du 9 septembre 2002, Marianne.

À l'aube des années 70, débarqua à Hollywood une bande de réalisateurs bien décidés à révolutionner le septième art. Ils s'appelaient Dennis Hopper, Robert Altman ou encore Bob Rafelson. Ils furent bientôt détrônés par Steven Spielberg, Martin Scorsese et Francis Ford Coppola.

Cela aurait pu n'être qu'une secousse sismique supplémentaire sur la terre de Los Angeles : ce fut le second âge d'or d'Hollywood. De 1967 jusqu'à l'aube des années 80, de jeunes réalisateurs talentueux et insolents, revendiquant un statut d'auteurs, avec plein d'idées nouvelles, des substances illicites en poche et un discours tout d'insolence, sont parvenus à arracher le pouvoir aux grands studios, alors maîtres absolus de la production cinématographique américaine.

La révolution débute littéralement aux pieds de Jack Warner, célèbre patron du studio homonyme. Ce jour-là, Warren Beatty implore à genoux le nabab du vieil Hollywood. Et finit par lui arracher une promesse de financement : 1,6 million de dollars pour monter "Bonnie and Clyde". Le long-métrage, écrit par Robert Benton et David Newman, et réalisé par Arthur Penn, sort en 1967 : un film d'une rare violence, avec des héros marginaux interprétés par des acteurs de seconde zone, dont le ton et l'esthétique prennent à rebrousse-poil tous les canons de l'establishment hollywoodien. Pour la première fois, Hollywood avait fait un film "à l'européenne". La critique était partagée (Newsweek notamment y voyait « un film sordide pour crétins »), mais le public, lui, fut conquis. Le film devint l'épicentre du Nouvel Hollywood : « une production d'œuvres à risques et de très haute qualité, reposant plutôt sur les personnages que sur l'intrigue, défiant les conventions traditionnelles du récit et le techniquement correct, brisant les tabous du langage cinématographique et n'hésitant pas à rompre avec le manichéisme et le happy end », écrit Peter Biskind dans son livre "Le nouvel Hollywood"*. « Violence, sexe, art » sont les stigmates de ce nouveau cinéma made in Hollywood, à en croire le Times, surpris par le succès inattendu de "Bonnie and Clyde", de "Blowup" (Michelangelo Antonioni) et du "Lauréat" (Mike Nichols). Pour la première fois depuis une dizaine d'années, les films collent parfaitement aux attentes d'un public composé, en ce milieu des années 60, à 75 % de jeunes âgés de 16 à 30 ans.

C'est l'époque où Bert Schneider et Bob Rafelson créent la société Raybert, future BBS, pour affranchir les réalisateurs de la tutelle des producteurs. Transfuges du système des tout-puissants studios, eux-mêmes issus de milieux bourgeois, les 2 gaillards jouent aux "hors-la-loi de la sexualité". Cheveux longs, barbe et joints fumés lors du conseil d'administration de la Columbia, rien ne manque à l'uniforme du gars "cool". C'est alors que Bert Schneider décide de produire sur ses fonds propres un western moderne concocté par Dennis Hopper et Peter Fonda. Aucun d'eux n'a d'expérience en la matière, mais qu'importe, ils obtiennent 360 000 dollars pour réaliser "Easy Rider". « Tout ce qui était vieux était bon à jeter, explique Peter Biskind, tout ce qui était nouveau était forcément magique. L'Amérique vivait sa révolution culturelle. À la fin des années 60, pour un jeune homme talentueux et ambitieux, le paradis sur Terre avait un nom : Hollywood. » Un éden terrestre avec accès direct à toutes sortes de paradis artificiels. Pour "Easy Rider", Fonda et Hopper choisirent de plonger le nez de leurs héros dans la cocaïne. Pourquoi ? C'est qu'« on ne peut pas transporter assez d'herbe sur une moto pour se permettre une belle retraite », que l'héroïne « fait désordre » et que « la cocaïne, à l'époque, c'était la drogue des puissants ». Le film coûtera finalement 501 000 dollars. Il en rapportera plus de 19 millions... Après "Bonnie and Clyde", c'est une nouvelle secousse qui vient ébranler Hollywood.

Une vague de jeunisme s'abat sur les studios, qui décident de fabriquer de la contre-culture en série. Les institutions qui, quelques années auparavant, confiaient encore la réalisation à des metteurs en scène chevronnés, voire à moitié aveugles (Norman Taurog sur "Croisière surprise", avec Elvis Presley), se tournent désormais vers tout ce qui porte colliers de perles et cheveux longs. « Les jeunes types qui attendaient des rendez-vous depuis des mois ont vu d'un coup les portes s'ouvrir. » Le Nouvel Hollywood signe la fin des metteurs en scène salariés des studios et instaure le règne de la liberté créatrice, du moins tant que les films ne coûtent pas plus de 1 million de dollars. « Les choses avaient changé. C'était désormais les metteurs en scène qui choisissaient leur producteur et non plus l'inverse. "M.A.S.H." illustra parfaitement cette passation de pouvoir ; le film fut totalement attribué à Robert Altman, il en fut considéré comme l'auteur. C'est à lui qu'on devait toutes les innovations du film. »

Les studios prennent alors des allures de Woodstock permanent. Les producteurs se laissent pousser les cheveux et la barbe, prennent leurs décisions sous acide. Jack Nicholson, Ellen Burstyn, Robert De Niro et Robert Duvall sont omniprésents sur les écrans. Kubrick tourne "Orange mécanique", William Friedkin prépare "L'Exorciste" et, après le succès de "French Connection", Martin Scorsese y va de son "Mean Streets", pendant que George Lucas s'essaye au cinéma de science-fiction expérimental avec "THX 1138". Tous les genres cinématographiques sont ainsi revisités les uns après les autres par les néohollywoodiens. Au western moderne de Dennis Hopper et Peter Fonda succède le film de guerre remodelé à la manière de Robert Altman : un "M.A.S.H." antimilitariste et anti-autoritaire. Le même Altman signe, peu après, une vision moderne du mythe de la conquête de l'Ouest avec "John McCabe". Coppola retaille, avec "Le Parrain", la défroque des gangsters américains.

Et Coppola fut consacré « auteur »
Premier réalisateur à avoir décroché le titre d'auteur sous la plume d'un critique (dans le Los Angeles Times, à l'occasion de la sortie de "Big boy", en mars 1967), Francis Ford Coppola n'a de cesse, depuis, de chercher à conforter cette image. Du coup, la commande du "Parrain" par la Warner ne l'enchante guère. Il le réalise pourtant, pour sauver American Zoetrope, sa maison de production. Six mois après sa sortie, le film coiffe "Autant en emporte le vent" au poteau du plus grand succès de l'histoire du cinéma. Colossale réussite commerciale, "Le Parrain" reste dans la thématique du fossé entre les générations, chère au Nouvel Hollywood. Comme le héros mafieux du film, Michael Corleone, les nouveaux réalisateurs ont vite compris que leur salut économique se trouvait dans une sorte de pacte avec le diable, en l'occurrence avec les studios. Altman, Coppola, Scorsese, Lucas, tous ont besoin d'un succès commercial pour être en mesure de réaliser les projets qui leur tiennent réellement à coeur. Ce seront les 5 % de Robert Altman sur les recettes de "M.A.S.H.", les retombées du "Parrain" pour Coppola, d'"American Graffiti" pour George Lucas, des "Dents de la mer" pour Spielberg, de "Taxi Driver" pour Martin Scorsese...

Le Nouvel Hollywood commence ainsi à creuser sa propre tombe. « L'argent, selon Biskind, a été l'acide qui a désintégré la fibre des seventies. » L'assassinat, sous l'œil des caméras, de John F. Kennedy avait tout à coup rendu crédible la violence de certaines scènes de "Bonnie and Clyde". Mais c'est l'entrée dans l'ère reaganienne qui remet Hollywood sur les rails du classicisme et de la tradition. Dennis Hopper avait mis un terme à la dictature de l'image techniquement parfaite, Robert Altman avait imposé l'utilisation du zoom et de la bande-son diffuse, Brian De Palma s'obstinait sur le 16 mm...

La principale innovation du "Parrain" - sa sortie simultanée dans des centaines de salles - signe l'arrêt de mort du Nouvel Hollywood. Auparavant, « la sortie en exclusivité avait lieu dans un nombre de salles limité, qui profitaient au maximum de la campagne de lancement. Lorsque ces salles avaient fait le plein, le film pouvait passer dans des salles de seconde, puis de troisième catégorie. Les réalisateurs appréciaient cette méthode car la durée de vie du film était longue », rappelle Peter Biskind. Après le succès du film de Scorsese, les studios adoptent la sortie nationale, un système de distribution privilégiant les films à gros budget. Visuellement, "Le Parrain" préfigure aussi un retour à une esthétique plus conventionnelle, qui fera le succès de George Lucas et de Steven Spielberg.

Une approche moins politique
Débarquée dans la Cité des anges au début des années 70, cette seconde génération développe une approche plus décomplexée et moins politique du travail cinématographique. « Scorsese comme Lucas ou Spielberg ne sont pas de la génération de Beatty, Towne, Hopper. Ils ont 6 ou 7 ans de moins, et cette différence est cruciale. » Ce sont des enfants de la télé. Et elle le leur rend bien. Après le succès des "Dents de la mer" (1975), « les studios se lancèrent dans la publicité télévisée. Les budgets marketing des films se mirent à exploser. Avec cette évolution, les critiques perdirent de leur influence. Une bonne pub télé valait en effet, en terme d'impact sur le public, toutes les bonnes critiques. Et les succès devinrent de plus en plus rapides. Avec l'augmentation des coûts, due à l'explosion de la promotion, les prises de risques sur des films atypiques devinrent plus rares. Spielberg devint ainsi en quelque sorte le cheval de Troie dont les studios allaient se servir pour reprendre le pouvoir. » C'est la fin d'une époque : la guerre du Viêtnam est terminée, Nixon destitué, les mouvements pacifistes en perte de vitesse. Alors que Coppola s'embourbe dans le tournage d'"Apocalypse Now", George Lucas s'amuse avec ses petits Ewoks et pense produits dérivés. L'idée de "La guerre des étoiles" consistait à « créer une sorte de nouveau mythe. [À] donner aux gamins de nouvelles références, une sorte de morale de base. Ils n'avaient plus personne pour leur dire : « Ça c'est bien, ça c'est mal ! »» Pour la première fois depuis longtemps, on retournait voir un film en famille. À sa manière, "La guerre des étoiles" concentre de façon consensuelle toutes les évolutions des dix dernières années : c'est un blockbuster, mais qui appelle à la « lutte contre les structures établies ».
Alors que Paul Schrader, Martin Scorsese et Brian De Palma jouaient encore aux « apôtres de la violence » (selon le Saturday Review, 1980), Lucas et Spielberg faisaient des bons sentiments leur fonds de commerce. "Raging Bull" et "La porte du paradis" auront été les dernières œuvres du Nouvel Hollywood. Petit à petit, l'augmentation des coûts de marketing et la reconquête du pouvoir des studios aidant, les petites sociétés qui avaient fleuri dans les années 70 disparaissent.
Friedkin, Altman, Bogdanovich, les "vétérans" du Nouvel Hollywood, connaissent un violent retour de bâton : « Tous ceux que j'avais nargués en montant dans l'ascenseur, je les ai retrouvés en descendant », grince le réalisateur de "L'Exorciste".
Ceux qui nageaient dans le succès, Spielberg, Lucas, perdent beaucoup de leurs amis des années 70. « Au début, tout le monde bossait ensemble, tout le monde aidait tout le monde. Mais, dès que l'un d'entre nous commençait à gagner de l'argent, tout le monde le regardait différemment. Soudain vous étiez devenu un type à la mode. »

À partir des années 80, les chantres du law and order (« la loi et l'ordre ») à la "RoboCop" prennent la relève des hors-la-loi seventies. Dernier unhappy end du Nouvel Hollywood.