titre original | "Café Society" |
année de production | 2016 |
réalisation | Woody Allen |
scénario | Woody Allen |
photographie | Vittorio Storaro |
interprétation | Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Steve Carell, Sheryl Lee, Blake Lively, Corey Stoll |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Depuis qu'il ne joue plus dans ses films le rôle principal ("Scoop" en 2006), ayant pris conscience qu'il ne pouvait plus incarner cet éternel quarantenaire joyeusement rongé par ses problèmes existentiels et sa libido envahissante, Woody Allen alterne les incursions dans les films à connotation plus sombre empruntant par instants au thriller ("Match Point", "Le Rêve de Cassandre", "Blue Jasmine", "Magic in the Moonlight", "L'Homme irrationnel") et les comédies romantiques ("Whatever Works", "Minuit à Paris", "To Rome with Love") inspirées de ses plus grands succès des années 70 et 80. Des comédies romantiques qu'il tente souvent de nimber du parfum des grandes métropoles européennes qui lui permettent, outre de bénéficier de coûts de production réduits, d'éviter de sombrer, et ses spectateurs avec lui, dans la nostalgie du New York de ses plus grands films.
La recherche d'un acteur pouvant lui ressembler au temps de sa splendeur (Larry David, Owen Wilson, Jesse Eisenberg) trahit une volonté pas complètement éteinte de prolonger son personnage de citadin névrotique au-delà de la date de péremption normalement imposée par son propre vieillissement. Car Woody Allen doit se rendre à l'évidence, personne ne sera jamais aussi crédible que lui dans la peau de Woody Allen. Le spongieux Jesse Eisenberg, de confession juive comme lui, semble actuellement tenir la corde dans l'esprit du réalisateur, qui n'arrive pas à se rendre compte que le décalque trop apparent qu'il impose à l'acteur nuit à sa performance et impose en permanence une comparaison pas toujours flatteuse faite par ceux qui connaissent bien l'ensemble de son œuvre et qui sont fatalement très attachés à sa période la plus féconde parsemée de joyaux comme "Annie Hall", "Manhattan", "Broadway Danny Rose", "Zelig", "Hannah et ses sœurs" et tant d'autres.
Woody Allen qui tente de faire du Woody Allen sans Woody Allen est malheureusement moins convaincant que celui qui consent à chercher d'autres voies où son savoir-faire lui est d'un plus grand secours que dans cette vaine tentative de vouloir se survivre à lui-même. Ce "Café Society" participe de ce crédo en lorgnant de manière assez franche du côté de "Radio Days", une des partitions les plus personnelles d'Allen relative à son enfance. L'ensemble est malgré tout assez plaisant et bénéficie en sus de la présence de la sublime Kristen Stewart, aussi belle que bonne actrice, et de celle de Steve Carell qui, depuis "Foxcatcher", prend un malin plaisir à casser son image de comique de stand-up.
Le scénario concocté par Allen, outre nous emmener dans le Hollywood des années 1930 qu'il affectionne, propose un triangle amoureux des plus retors mais assez classique, qui fait cependant son effet grâce à un très bon agencement des retournements de situations dont le réalisateur a le secret.
La photographie de Vittorio Storaro, collaborateur fidèle de Coppola ("Apocalypse Now", "Coup de cœur", "Tucker") étant sans égal pour restituer le glamour de cette période dorée des studios, on passe un moment agréable, mais les rappels insidieux du réalisateur à ses anciens films et la trop visible filiation recherchée chez Jesse Eisenberg viennent quelque peu parasiter l'attention portée à cette honnête proposition.