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"Le Sorcier du Rio Grande"

Le sorcier du Rio Grande - affiche

titre original "Arrowhead"
année de production 1953
réalisation Charles Marquis Warren
scénario Charles Marquis Warren, d'après le roman "Terreur apache" de W.R. Burnett
photographie Ray Rennahan
musique Paul Sawtell
production Nat Holt
interprétation Charlton Heston, Jack Palance, Katy Jurado, Brian Keith

La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains

Un cas d'école.

En passant rapidement : un western avec une jolie photo et un joli casting. Une mise en scène d'une platitude totale et ... un propos nauséabond. Tous les Indiens (surtout les civilisés) sont à abattre ! Un produit raciste à jeter aux ordures.

En passant moins rapidement : un film fort complexe où chacun a ses raisons (bonnes ou mauvaises). Le héros (si l'on y porte un regard contemporain) est une brute raciste inspiré d'Al Sieber. Heston, puissant, n'édulcore jamais la haine et la noirceur de son personnage. Il est immonde et ses rapports avec Kathy Jurado (qu'il considère comme un objet sexuel) sont dépeints avec une certaine crudité.

Le méchant Indien belliqueux (Jack Palace, formidable) est si insolite (il était étudiant chez les Blancs) que ses motivations apparaissent parfaitement légitimes ! Il trompe son peuple pour le conduire à la révolte : et alors ? Il tue son ancien ami de sang froid, mais c’était un traitre et un scout à la solde des Blancs. Il déclenche un raid sanglant, mais les Blancs stigmatisent et écrasent son peuple... Malgré tous les efforts des scénaristes pour en faire un méchant, ça ne fonctionne plus aujourd’hui.

"Le Sorcier du Rio Grande" ressemble à une esquisse de "Fureur apache", mais sans la radicalité d'Aldrich.

Passionnant de bout en bout. Malgré ou à cause de ses ambiguïtés.

Pour : Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

[...] un excellent western, d'une violence rare à l'époque, avec tortures indiennes, hurlements de douleur et scènes choc. On n'oublie pas l'instant où Palance jette son chapeau d'homme civilisé aux orties, et, d'un seul mouvement, fait apparaître sa coiffure de chef.

Contre : Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon

"Le Sorcier du Rio Grande" est une infâme trahison du roman de Burnett, lequel annonce curieusement "Fureur apache". Warren respecte la violence, injecte quelques bonnes idées scénaristiques, mais banalise le propos, vulgarise les rapports qui débouchent sur une série d'opérations militaires là où Burnett décrivait une traque où les ennemis ne se rencontraient jamais. Il choisit les paysages décrits par Burnett, mais les filme si platement qu'il les rend anonymes. La dernière partie s'enlise dans les clichés, les rebondissements les plus prévisibles.

Extrait de la chronique de Bertrand Tavernier du 14 octobre 2009

Nous étions trop sévères dans 50 ans de cinéma américain pour "Arrowhead" ("Le Sorcier du Rio Grande") écrit et réalisé par Charles Marquis Warren que j’ai revu avec un grand plaisir. On soulignait, à juste titre, l’interprétation spectaculaire de Jack Palance (son arrivée dans le film est mémorable tout comme le moment où il retrouve son père), mais il aurait aussi fallu louer Charlton Heston (aussi puissant que dans "Naked Jungle") qui jamais n’édulcore, n’affadit la violence noire, la rage haineuse du personnage. Certes le discours du film peut paraître quelque peu univoque.

Tous les Apaches sont cruels et l’on ne peut leur faire confiance surtout pas à ceux qui semblent civilisés : l’une des premières actions de Palance/Toriano est d’abattre son frère de sang, le scout indien est un traître. Mais néanmoins, le propos témoigne d’une certaine complexité, supérieure à la moyenne des westerns, évite le manichéisme « noble sauvage méchant civilisé » ou l’inverse, les Apaches sont ce qu’ils sont et font ce qu’ils font (« That’s what they do ») et pareil pour les blancs, militaires ou autres. Tout le monde a ses raisons, bonnes ou mauvaises (et souvent les deux selon le point de vue). Heston qui a vécu avec les Apaches dit bien comme Lancaster dans "Ulzana's Raid" ("Fureur apache") qu’il ne déteste pas les Apache, simplement qu’il les connaît mais le film n’atteint pas la complexité de l’Aldrich dont il constitue une sorte d’ébauche. Le rapport avec "Ulzana's Raid" est plus sensible, comme nous le soulignions, dans le beau roman de Burnett. Je n’irai plus jusqu’à dire que Charles Marquis Warren le trahit honteusement. Plutôt qu’il l’édulcore, l’affadit. Le livre est essentiellement une longue et aride traque menée par le héros et un groupe de scouts indiens. On ne voit jamais Toriano contrairement au film, sauf quand on le tue.

Et pourtant la violence du ton détonne et étonne. Warren recycle certaines idées de l’excellent et original "Little Big Horn" : un soldat cloué contre un arbre par trois flèches, les deux ou trois plans de massacre filmés à la grue, Heston qui noie un Apache de ses mains. La photo couleur pourtant bonne de Ray Rennahan rend ces moments moins cinglants que le noir et blanc austère de "Big Horn". On retrouve aussi des péripéties d’"Only the Valiant" (les soldats qui se font tuer un par un) dont Warren avait écrit le scénario. Ed Bannon (dans le livre, il s’appelle Grein), ce scout inspiré dit le dernier carton d’Al Sieber (le mystérieux texte qui ouvre le film ne prend qu’ici tout son sens) est un personnage récurrent du cinéma américain : l’homme d’action, de guerre qui connaît le terrain et qui a souvent, presque toujours raison contre les bureaucrates, les humanistes. C’est le petit cousin du sergent Croft des "Nus et les Morts", de Montana dans "Côte 465", du Lancaster de "Ulzana's Raid". La franchise du ton est à porter au crédit du film. Elle traduit une réalité historique, idéologique que certains westerns progressistes n’ont pas osé aborder. Des personnages comme Bannon ont dû peupler l’Histoire de l’Ouest. On retrouve d’ailleurs Al Sieber sous les traits de John McIntire dans "Apache" d’Aldrich, tourné la même année et où il est montré de manière plus sympathique. Robert Duvall le joue dans l’intéressant "Géronimo" de Walter Hill et Burt Lancaster interprète un personnage ouvertement basé sur Sieber dans "Ulzana's Raid". Étudier ces 4 films est une bonne approche transversale du genre.

Ajoutons que Warren montre deux ou trois fois l'étroitesse d'esprit, l'obstination stupide de certains officiers et un sens de l'honneur chez les Apaches. Mais contrairement à Aldrich, Mann, Walsh, il n'ouvre jamais son propos, ne le met pas en perspective, ne le soumet à aucune contradiction. Et pourtant il s'en faut de peu pour qu'une autre signification apparaisse grâce d’abord à Jack Palance. Son personnage ressemble à ces révolutionnaires qui sont revenus galvaniser leurs peuples après avoir fait des études chez le colonisateur. Et la manière dont Warren commence à filmer ce qui s’apparente à une déportation pourrait, avec un très léger écart de perspective, s’apparenter à "Bronco Apache" (Palance dénouant ses cheveux est inoubliable dans cette scène). Il y a aussi plusieurs échanges qui ont un côté fullerien (les dialogues sont d’ailleurs assez efficaces) et l’excellent Brian Keith joue un personnage d’officier humain assez proche de celui du "Jugement des flèches".

Et puis c’est un des derniers westerns (un des derniers films) en 1:37: 1. et j’aime de plus en plus revenir à cet aspect ratio.