The true story of a cop who knew too much
titre original | "Prince of the City" |
année de production | 1981 |
réalisation | Sidney Lumet |
scénario | Sidney Lumet et Jay Presson Allen, d'après le livre de Robert Daley |
photographie | Andrzej Bartkowiak |
interprétation | Treat Williams, Jerry Orbach, James Tolkan, Lindsay Crouse, Lance Henriksen |
rien à voir avec | • "The king of New York" d'Abel Ferrara |
• "Un roi à New York" de Charlie Chaplin | |
• "Un prince à New York" de John Landis |
Un grand classique de Lumet (la critique de Pierre)
On est grave dans du Lumet : un flic new-yorkais décide de dénoncer la corruption policière, à laquelle il a lui-même un peu participé, mais à la condition de ne pas balancer les potes de son unité. Sa vie va bientôt devenir un enfer.
Les ressemblances avec d'autres Lumet sont innombrables, avec en tête "Serpico" bien sûr, mais aussi "Jugez-moi coupable", dont le sujet est également très ressemblant. Évidemment, tout ça est inspiré de faits réels. On n'est pas loin de De Palma non plus, qui a souvent approché le genre de dilemme auquel est confronté le héros du "Prince de New York" (Michael J. Fox, dans "Outrages", est aussi un dénonciateur, une balance).
Les lieux du tournage, tous les seconds couteaux, le démontage minutieux d'un système (policier et judiciaire) : tout cela est exécuté par un Lumet à son sommet. Je n'ai qu'une seule réserve : Treat Williams dans le rôle du héros. Le mec n'a pas le coffre et l'intensité pour tenir le film sur ses épaules. Dommage. Il aurait fallu un Pacino pour que le film devienne un chef-d'œuvre. Là, j'ai même trouvé que le jeu de Williams sonnait faux par moments, phénomène très rare chez Lumet, qui en est d'autant plus criant.
Mais ça reste super. Et la longueur du film (170 minutes) lui permet d'avoir une vraie ampleur. Vraiment, faut pas le louper.
Parmi la multitude de seconds couteaux, je retiens Bob Balaban, vu notamment dans "Harry dans tous ses états".
Notons également que le directeur photo, Andrzej Bartkowiak, est devenu réalisateur par la suite, malheureusement pas pour le meilleur ("Doom").
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Sidney Lumet affirmait que "Le prince de New York" était son film le plus abouti. Celui au sein duquel il estimait avoir réussi à ne pas laisser transparaître un point de vue, laissant le spectateur complètement libre d'orienter son opinion. Qui connaît bien la filmographie de Lumet sait que le réalisateur, depuis ses débuts fracassants en 1957 avec "Douze hommes en colère", s'interroge sur le fonctionnement des institutions régaliennes ou démocratiques de son pays, principalement la police ("The Offence", "Serpico", "Le prince de New York", "Contre-enquête") et la justice ("Douze hommes en colère", "Le Verdict") mais aussi les médias ("Network") ou la politique ("Point limite", "À bout de course", "Les coulisses du pouvoir").
S'il fait des incursions plus ou moins heureuses dans différents genres cinématographiques, c'est bien dans les films posant question qu'il donne son meilleur, sachant entremêler ses préoccupations humanistes avec le suspense indispensable pour se rallier les faveurs des studios et des spectateurs. Lumet, qui n'écrit jamais ses scénarios (il fera deux exceptions pour "Contre-enquête" et "Jugez-moi coupable"), se délecte d'histoires montrant l'inévitable corruption qui infiltre ces institutions ayant en charge le bon fonctionnement de l’État démocratique. Pris dans l'engrenage ou voulant en dérégler le fonctionnement pervers, l'homme seul se heurte tout d'abord à ses propres contradictions, puis à l'instinct de survie d'un système basé sur un darwinisme des plus prosaïques.
L'histoire de Robert Leuci, qui avait dénoncé la corruption qui sévissait au sein de l'unité d'élite en charge des affaires de drogues du New York City Police Department, ne pouvait donc que l'intéresser. D'abord dans les mains de Brian De Palma, le projet n'a pas mis longtemps à atterrir dans celles de Lumet, qui était sans aucun doute le réalisateur ad hoc pour adapter à l'écran le livre de Robert Daley (ancien commissaire du même service) qui relate les confessions intimes de Robert Leuci.
On peut penser que "Le prince de New York" n'est qu'une simple redite pour Lumet, le thème évoqué semblant très proche de celui de "Serpico" sorti huit ans plus tôt. Il faut alors se dire que Lumet y a certainement vu l'occasion d'offrir une vision plus complexe du phénomène de la corruption. Là où Serpico (Al Pacino) pouvait être vu comme une sorte de chevalier blanc, Robert Leuci renommé pour l'occasion Danny Ciello (Treat Williams) est lui-même au cœur du système ce qui interroge forcément sur ses motivations et sur les difficultés supplémentaires qu'il devra surmonter pour dénoncer ses propres copains.
C'est d'ailleurs autour de l'évolution psychique de Ciello que Lumet articule son propos, le film étant régulièrement scandé par des maximes en surimpression relatant l'état d'âme de l'inspecteur dans la phase qui va suivre. Par exemple, après qu'il ait été approché par le procureur en charge de l'affaire (Peter Friedman) et qu'il commence à porter un mouchard pour piéger ses interlocuteurs habituels, se fait jour une période palpitante où l'adrénaline est à son maximum, décrite par Ciello par la phrase : « C'est un jeu, j'aime ça ! ». Juste derrière, alors qu'il tentera vainement d'écarter ses partenaires de l'enquête, il dira : « Personne ne prend plus soin que moi de ses partenaires ». Par ce procédé astucieux, renforcé par un travail d'orfèvre sur la lumière avec son nouveau chef-opérateur, Andrzej Bartkowiak, Lumet suit pas à pas la progression psychologique de son héros, qui doit affronter en permanence son propre regard accusateur sur ce qu'il est train de faire.
Certains ont déploré le manque de notoriété de Treat Williams et peut-être aussi son manque de charisme. Ce choix de casting n'est surtout pas innocent de la part de Lumet, qui voulait, à travers cet acteur relativement anonyme, impliquer au maximum le spectateur dont Lumet souhaitait qu'il se pose en permanence la question : « Qu'aurais-je fait à sa place ? ».
Lumet était très satisfait du "Prince de New York", certainement parce qu'il lui avait permis de se situer au point d'équilibre du débat et de saisir au plus près, grâce au témoignage de Robert Leuci, l'ambiguïté qui habite chacun d'entre nous. Long de trois heures qui ont paru longues à certains critiques, le film montre un Sidney Lumet en maîtrise totale de son art qui a parfaitement retenu la leçon d'efficacité du "French connection" qui avait frappé par son style documentaire. Cette filiation n'est sans doute pas étrangère au sujet du "Prince de New York". En effet, plusieurs des collègues dénoncés par Robert Leuci avaient participé activement au démantèlement du réseau de la "French connection" qui était le sujet central du film de Friedkin. Cette gloire soudaine leur avaient permis d'imposer leurs propres règles de fonctionnement qui leur avaient valu le surnom de Princes de New York.
On retiendra l'image de la fin du film montrant Danny Ciello devenu instructeur, faisant face stoïquement à un étudiant qui se lève comme va bientôt le faire le spectateur du film, refusant d'être initié par une "balance". Une dernière fois, Lumet, opiniâtre, nous rappelle que son film, comme son cinéma de manière plus générale, a vocation à nous faire réfléchir sur notre propre positionnement moral face à ces dérives presque consubstantielles au fonctionnement de la démocratie.
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
Dernier volet de la trilogie policière new-yorkaise de Sidney Lumet (après "Serpico" et "Un après-midi de chien"). Comme "Serpico", le film s'inspire de l'histoire d'un policier qui découvre et tente de dénoncer la corruption de ses collègues. Plus ambitieux encore, rigoureux et sans compromis, il dévoile un engrenage judiciaire impitoyable, un monde paradoxal et en dehors de toutes normes morales, où la démarcation entre criminalité et activités légales et policières finit par s'estomper complètement.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Dans la grande tradition des films de Lumet, "Le prince de New York" (bonjour l'ironie !) démonte avec minutie et cohérence les rouages du fonctionnement des institutions américaines, ou pour être plus précis, de leur dysfonctionnement. Ne voit-on pas ici la police fédérale, puis la justice mettant tout en œuvre pour se débarrasser... de leurs meilleurs policiers ? Et pendant ce temps, les avocats marrons échappent, tout comme les pontes de la drogue, aux rigueurs de cette même "justice". C'est cette absurdité que Lumet dénonce dans un film ultra maîtrisé, tourné dans 138 décors de New York, au parfum d'authenticité qui ne trompe pas. Comme "Serpico", une autre réussite de Lumet, "Le prince de New York" est situé dans une Big Apple réaliste, a pour cadre la police, a pour héros un homme seul en conflit avec la structure qui l'emploie. Mais le second des deux films est encore meilleur que le premier, dans la mesure où le héros est plus ambigu. Contrairement à Serpico, Ciello a des choses à se reprocher. N'empêche que le procès qu'on lui fait est absurde et son personnage, joué dans le style de l'Actor's studio par Treat Williams, y gagne en profondeur.