titre original | "Q & A" |
année de production | 1990 |
réalisation | Sidney Lumet |
scénario | Sidney Lumet, d'après le livre d'Edwin Torres |
photographie | Andrzej Bartkowiak |
interprétation | Nick Nolte, Timothy Hutton, Armand Assante, Luis Guzmán |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Bizarrement, "Contre-enquête" est un film relativement méconnu de la filmographie foisonnante et passionnante de Sidney Lumet. Il s’agit pourtant de l’une de ses productions les plus maîtrisées, dont il a pris le soin d’écrire lui-même le scénario, chose qu’il fit en de très rares occasions ("Le Prince de New York" et "Jugez-moi coupable"). On retrouve bien sûr tous les thèmes chers à Lumet, comme la confrontation de l’individu aux institutions régaliennes que sont la justice et la police.
À l’aide d’un incipit très rythmé et signifiant, Lumet nous place tout de suite face aux enjeux qui vont assaillir le jeune juge Francis Reilly (Timothy Hutton), nouvellement en charge auprès du district attorney. Classer rapidement une bavure que tout le monde veut oublier ou, au contraire, enquêter pour savoir si, oui ou non, le lieutenant Mike Brennan (Nick Nolte), flic aux méthodes expéditives, a tué un dealer en légitime défense, tel est le dilemme qui l'attend dès sa prise de fonctions.
Ce point de départ, d’autant plus simple que Lumet nous a donné la clef de l'intrigue dès l’entame du film, permet au réalisateur d’entrer de plain pied dans les imbrications qui, fatalement, mêlent gendarmes et voleurs au cœur des grandes mégapoles. Le jeune juge passé par la case flic de terrain, et fils lui-même d’un flic mort au combat, devra surmonter la figure tutélaire que tente d’emblée de lui imposer Brennan qui a bien connu Reilly Sr, en se référant continuellement à leur sens commun du devoir appuyé sur des méthodes musclées jugées indispensables pour imposer le respect dans une jungle où les communautés sont en affrontement permanent.
Lumet est dès lors comme un poisson dans l’eau, œuvrant dans des milieux dont il a maint fois décrit les us et les coutumes. Les scènes brillantes s’alignent en file indienne, notamment une confrontation des témoins où Lumet fait exploser en deux temps et trois mouvements le fameux melting pot new-yorkais, qui s’avère n’être que la juxtaposition de communautés qui, au mieux, s’ignorent quand elles ne s’entretuent pas. Lumet, dont on sait qu'il pensait que le cinéma avait aussi quelque chose à voir avec l’éveil des consciences, élève rapidement le conflit racial, mal endémique de l'Amérique, au même niveau que l’enquête policière qui reste malgré tout solidement vertébrée. Reilly, présenté dans un premier temps comme une sorte de chevalier blanc, n’échappera pas au conflit racial, permettant ainsi à Lumet de montrer que ce méchant virus s'est partout diffusé. Ayant retrouvé par le biais de l’enquête son ancienne fiancée, il n'aura de cesse de la reconquérir en tentant de lui faire oublier sa réaction de rejet le jour où il a découvert que le père de celle-ci était noir.
Comme le souligne Jean-Baptiste Thoret, Lumet fait de cette faute à expier le point aveugle du film, symbolisant à travers Reilly la culpabilité de toute l'Amérique vis-à-vis de ses minorités jamais réellement acceptées malgré tout un train de lois réformatrices depuis les années 1950. Lesté de ce fardeau, Reilly, comme souvent dans les films du réalisateur, se fera rattraper par le système et découvrira effondré - formidable scène au commissariat en présence de son ancien professeur - que peut-être son mentor (Lee Richardson) l'a placé là pour profiter de sa candeur afin de classer une affaire à trop grandes répercussions politiques. On est donc en face d'un des films les plus amers de Lumet qui, après plus de 30 ans à exposer sur l'écran les contradictions des institutions de son pays, constate que les choses n'ont pas beaucoup évolué.
Mais au-delà des thèmes débattus, l'aspect formel de "Contre-enquête" est aussi très réussi. On pourra admirer le remarquable travail d'Andrzej Bartkowiak, fidèle collaborateur de Lumet à la photographie, qui livre des images sublimes du New York nocturne, ainsi que la direction d'acteurs au cordeau du réalisateur. À ce sujet, il faut revenir sur la formidable prestation de Nick Nolte proprement hallucinant, avec sa bedaine débordant de son immense carcasse, en flic corrompu dont la violence incontrôlée cache mal l'homosexualité refoulée.
On peut donc classer "Contre-enquête" parmi les plus grands films d'un réalisateur qui n'est toujours pas évalué à la hauteur de son immense talent.