Seul contre tous
titre original | "Serpico" |
année de production | 1973 |
réalisation | Sidney Lumet |
scénario | Waldo Salt et Norman Wexler, d'après le livre de Peter Maas |
photographie | Arthur J. Ornitz |
montage | Dede Allen |
interprétation | Al Pacino, John Randolph, Cornelia Sharpe, Tony Roberts, James Tolkan, M. Emmet Walsh, F. Murray Abraham, Judd Hirsch, Tony Lo Bianco |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
La rencontre entre Sidney Lumet et Al Pacino tombe au meilleur moment pour les deux hommes. Lumet, qui sort tout juste de la réalisation de "The Offence", film très troublant sur la lente destruction mentale qui peut résulter de l’exercice du métier de flic, profite de "Serpico" pour creuser le même sillon un peu plus profondément avec, cette fois-ci, une dénonciation en règle de la corruption qui gangrène la police dans les grandes mégapoles. De son côté, Al Pacino, qui a accédé brutalement à la célébrité en seulement trois films sous les directions successives de Jerry Schatzberg ("Panique à Needle Park" en 1971 et "L’Épouvantail" en 1973) et de Francis Ford Coppola ("Le Parrain" en 1973), saute sur ce nouveau rôle à très forte intensité dramatique qui lui permettra d'asseoir encore un peu plus sa réputation d'acteur de la "méthode" rénovée. Il parait évident, avec le recul, que ces deux-là devaient se rencontrer.
Le sujet offert par la fabuleuse aventure de Frank Serpico est de premier choix et tout brûlant d’actualité, l’ancien inspecteur de la police new-yorkaise ayant témoigné seulement deux ans plus tôt devant la commission Knapp mise en place par le maire de l’époque, John Lindsay, pour éradiquer la corruption généralisée au sein du NYPD.
La maîtrise technique de Sidney Lumet, rodée depuis les années 50 où il fit ses premiers pas à la télévision, et la modernité du jeu de Pacino s’accordent harmonieusement pour montrer comment la corruption gagne progressivement tout un système, instaurant des règles très strictes qui finissent par se substituer à celles qui régissent normalement l’institution. Tout ceci avec la parfaite complicité de la plus haute hiérarchie qui, tout à la fois par duplicité, laxisme et impuissance, encourage la structuration d’une hiérarchie parallèle des priorités censée pallier les salaires insuffisants tout en garantissant une certaine efficacité contre les délits les plus graves. Ce pacte non écrit pouvant paraître un pis-aller porte en lui l’auto-destruction programmée du système par l’inévitable surenchère consubstantielle à l’appât du gain facile. Il est évident que la pieuvre installée, tout corps étranger doit se laisser prendre dans ses tentacules ou être rejeté.
Frank Serpico, flic iconoclaste au look décalé et aux méthodes musclées, mais aussi pétri d’idéal, va devenir rapidement un caillou dans la chaussure des principaux acteurs du système mafieux mis en place. Muté de poste en poste, il va pouvoir constater qu’aucun quartier n’est épargné, le niveau de sophistication et l’ampleur des gains s’amplifiant là où règne la prospérité économique. On peut juste s’étonner à la vision du film qu’une solution radicale n’ait pas été dictée avant par quelque ponte impatient pour arrêter l'empêcheur de tourner en rond.
Al Pacino est, bien sûr, complètement impliqué dans l’identification à son rôle, copiant jusqu’à la démarche claudicante de Serpico. Sidney Lumet, qui n’est jamais autant à l’aise qu’en milieu urbain, filme avec maestria les rues enfumées de New York, aidé par l’opérateur confirmé Arthur J. Ornitz.
Si Pacino est souvent filmé en action, Lumet n’omet pas de dévoiler la face privée du personnage, dont l’intransigeance et l’obstination mises dans le combat qu’il a entrepris lui ferment progressivement les portes d’une vie sentimentale épanouie.
Témoin d'une époque et suspense haletant, "Serpico", s'il ne constitue pas le plus grand chef-d'œuvre de son auteur, figure assurément dans le quinté de tête de sa filmographie. Quarante ans après, on reste sidéré par la force de conviction du jeu de Pacino peut-être par moment trop enfiévré. Les deux hommes, convaincus par leur première collaboration, enchaîneront deux ans plus tard avec le survolté "Un après-midi de chien".
Serpico, quant à lui, devenu un paria, devra choisir l'exil en Suisse. Le dernier plan montrant Pacino assis avec son chien, le paquebot France à quai derrière lui, est sans équivoque sur l'amertume ressentie par Lumet.
Un très joli Blu-ray édité par Studio Canal respectant l'aspect crasseux du New York de l'époque, agrémenté de deux reportages instructifs sur Lumet et Pacino par Dominique Maillet, permet d'apprécier toute la force d'engagement de ce film.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Sobre, sans fioritures, la mise en scène classique et quasi-documentaire de Sidney Lumet s'efface modestement devant son sujet.
Un sujet fort, et ce d'autant plus que l'histoire de Frank Serpico est authentique. Cette héroïque croisade d'un policier intègre et solitaire contre 99 % de ses collègues en dit long quant au degré de corruption qui régnait (qui règne ?) dans la police new-yorkaise. Il n'est pas jusqu'à John Lindsay, alors maire de la ville, qui ne soit éclaboussé par l'affaire Serpico. Un réquisitoire sobre mais sans appel.
Beaucoup de l'efficacité du film vient, il faut le dire, de la remarquable prestation d'Al Pacino, qui s'est investi totalement dans la composition du personnage. Ce rôle de flic anticonformiste lui permet de changer de dégaine à volonté. Arborant le plus souvent le look, plutôt surprenant pour un policier, de hippie junkie aux cheveux longs, au chapeau mou à larges bords, aux jeans rapiécés, on le voit aussi jeune et imberbe en uniforme, ou en prolo moustachu. Bien entendu, Al Pacino ne s'est pas contenté de polir l'extérieur de son personnage, il en a également parfaitement rendu l'évolution intérieure. Du jeune policier naïf et galéjeur à l'homme usé et sur les nerfs qu'en a fait son combat de pot de terre contre le pot de fer, Pacino est constamment crédible.
"Serpico" est une œuvre extrêmement intéressante qui entre parfaitement dans la thématique de Lumet : son combat pour une vraie démocratie et une vraie liberté aux USA rejoint (en moins risqué) celui de Serpico dans la vie.
L'avis de Pierre
Revu ce classique des années 70 de Lumet avec Pacino. Eh bien, je me demande pourquoi je n'avais pas accroché avant !!! C'est vraiment passionnant, super bien fait, interprétation de folie. Bref, un classique mérité, que je n'avais pas remarqué avant du fait, sans doute, d'une K7 en vf toute pourrie.
Le générique de "Serpico"