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"Nous sommes tous des voleurs"

Nous sommes tous des voleurs - affiche

titre original "Thieves Like Us"
année de production 1974
réalisation Robert Altman
scénario Robert Altman, d'après le roman éponyme d'Edward Anderson
photographie Jean Boffety
interprétation Shelley Duvall, Keith Carradine, John Schuck, Bert Remsen, Louise Fletcher, Tom Skerritt

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

On pense aux "Amants de la nuit" ou au "Démon des armes". « Le couple Bowie-Keechie constitue - quoique de manière approximative - un couple à la Roméo et Juliette, un couple d'innocents traqués par leur environnement, par la fatalité sociale. Le mérite d'Altman est d'avoir choisi des interprètes qui n'idéalisent pas leurs rôles. Ils sont gauches, égarés, médiocres, mais attachants. » (Jean-Loup Bourget, Robert Altman)

Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon

Après Nicholas Ray ("Les Amants de la nuit"), Robert Altman adapte le roman d'Edward Anderson, mettant l'accent sur le contexte social, économique, sudiste, l'atmosphère des années de dépression. Un de ses films les plus simples et les plus émouvants. Très bien éclairé par Jean Boffety.

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

Avec ce pseudo remake des "Amants de la nuit" ("They Live by Night", Nicholas Ray, 1948), Robert Altman, qui vient de donner un coup de jeune au film policier avec "Le Privé", entend livrer, avec "Nous sommes tous des voleurs", une approche plus réaliste du film de gangsters rural, dont le nouveau canon du genre est, depuis 1967, le "Bonnie and Clyde" d'Arthur Penn. Pour l'occasion, Altman fait preuve d'une application dans la forme destinée à renforcer l'aspect vériste de son film en opposition à l'esthétique léchée du film d'Arthur Penn.

On ne retrouvera pas, dans "Nous sommes tous des voleurs", l'humour potache de "M.A.S.H.", la poésie de "Brewster McCloud" ou la malice fantaisiste de "John McCabe", mais une sage réserve qui nous montre que s'il l'avait voulu, Altman aurait pu rejoindre la cohorte des bons faiseurs à qui les studios confient les gros budgets.

Mais là n'est pas le propos du réalisateur, dont la reconstitution historique rigoureuse mise en image par l'opérateur français Jean Boffety, lui permet de montrer que ce banditisme si particulier était le fruit d'une époque elle-même particulière, la Grande Dépression, poussant chacun, comme l'indique le titre, à devenir  un voleur. C'est bien le marasme économique et la misère qu'il répand sur les campagnes comme sur les mégapoles qui poussent de pauvres bougres à se faire les banques sans défense des petites bourgades rurales, dont Altman dépeint minutieusement l'ambiance.

"Nous sommes tous des voleurs", comme ces trois évadés ou ces employés de banques qui grappillent quelques sous en surestimant les montants des hold-up subis ou encore ces banquiers qui, un peu plus tard, rouleront les assureurs selon le même principe déployé à plus grande échelle. En ces temps de crise, chacun y va de sa "débrouille" pour tenter de survivre. Les barrières morales reculent à mesure que le travail vient à manquer et que les poches se vident.

Dans ce contexte assez déprimant qu'Altman n'occulte d'aucune façon, il y a encore de la place pour l'amour, et le hasard permettra la rencontre de deux âmes encore pures, comme pour donner un peu de fraîcheur à un récit qui aurait pu vite devenir plombant, Altman refusant de jouer le jeu mercantile de la mise en avant de la violence et de l'héroïsme des gangsters. Ici, le film rejoint un moment "Bonnie and Clyde" pour s'en écarter tout aussitôt : le couple formé par Bowie (Keith Carradine) et Keechie (Shelley Duvall) est on ne peut plus prosaïque et probable, là où Bonnie (Faye Dunaway) et Clyde (Warren Beatty) étaient glamours et fantasmatiques.

Leur histoire d'amour n'en est que plus touchante, et Altman fait preuve de toute la délicatesse dont il avait déjà usé dans "That Cold Day in the Park" (1969) pour magnifier les courts moments de bonheur du couple avant l'issue fatale, notamment dans une scène magnifique d'émotion où les deux jeunes gens, tous les deux vierges, font l'amour pour la première fois au son de la radio qui diffuse une émission de circonstance sur la première rencontre de Roméo et Juliette.

Une radio omniprésente pour diffuser les airs en vogue et les émissions de divertissement témoins de l'atmosphère d'une époque où le New Deal de Roosevelt (1933-1938) tardait à redonner un espoir tant attendu. Désarmant constat pour Bowie si jeune, encore vierge, mais déjà criminel et bagnard en fuite. Les deux complices de Bowie, T-Dub (Bert Remsen), la tête pensante, friand de très jeunes femmes, et Chicamaw (John Schuck), la brute épaisse aux pulsions meurtrières incontrôlables, sont dans la pure tradition du genre.

Très estimé à sa sortie par la critique, notamment par Pauline Kael (dont la review du film pour le New Yorker est disponible ici) qui avait émis beaucoup plus de réserves sur "Bonnie and Clyde", "Nous sommes tous des voleurs" n'aura pas les faveurs du public, qui attendait sans doute une autre tonalité pour un film de gangsters.

Encore une fois, Altman aura montré qu'il ne pouvait rien faire comme les autres. C'est ce qui fait toute sa grandeur.

Affiche française de "Nous sommes tous des voleurs" © Jouineau Bourduge

Nous sommes tous des voleurs - générique