There was a crooked man, and he walked a crooked mile.
titre original | "There Was a Crooked Man..." |
année de production | 1970 |
réalisation | Joseph L. Mankiewicz |
scénario | David Newman et Robert Benton |
photographie | Harry Stradling Jr. |
production | Joseph L. Mankiewicz |
interprétation | Kirk Douglas, Henry Fonda, Warren Oates, Burgess Meredith, Hume Cronyn, Martin Gabel, John Randolph |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Aujourd'hui, dans la filmographie achevée (et exceptionnelle) de Joseph Leo Mankiewicz, "Le Reptile" apparaît comme la fable la plus scatologique, anarchiste et foncièrement cynique de l'auteur raffiné des romanesques "L'Aventure de Madame Muir" et "La Comtesse aux pieds nus". Les films de Mankiewicz cherchent toujours à transcender le simple moule cinématographique dans lequel ils semblent se fondre. Il ne faudrait donc pas s'étonner que "Le Reptile" appartient aussi peu au genre western que "Blanches Colombes et Vilains Messieurs" correspondait aux comédies musicales des années cinquante.
Mankiewicz sait que le western vient de subir une violente prise de conscience et des bouleversements esthétiques annonçant sa mort prochaine. Sergio Leone vient de tourner le western italien définitif avec "Il était une fois dans l'Ouest" (1968), Abraham Polonsky finalise le drame ‘indien’ avec "Willie Boy" (1969). "Little Big Man" sort d’ailleurs la même année que "Le Reptile". Mankiewicz s'est toujours intéressé aux jeux de dupes des hautes sphères aristocratiques : "Chaînes conjugales", "Ève" ou "Guêpier pour trois abeilles". Dans cette fable, il lance ses personnages, non plus dans les alcôves de "La Comtesse aux pieds nus" ou de "L'Affaire Cicéron", mais dans une prison poisseuse en plein désert américain. Fange et vilenie de la nature humaine dans une fable stylisée.
La nature humaine n'est pas belle à voir. Paris Pitman Jr. (Kirk Douglas) dérobe une somme d'argent importante qu'il mettra dans une culotte de grand-mère avant de la plonger dans un puits de serpents venimeux. Cette cachette insolite reste mémorable. Ici, Robert Benton et David Newman (les scénaristes de "Bonnie and Clyde") utilisent symboliquement un nid de reptiles comme métaphore sociale. Pitman est un escroc, une ordure et un criminel. L'un des personnages du film ira même jusqu'à dire: « Je jure que jamais je n'ai vu un homme aussi plein de merde que toi ! ». Une magnifique crapule à laquelle Kirk Douglas donne une incomparable épaisseur, à la fois charismatique et sympathique. Lorsque le probe directeur de prison Lopeman (Henry Fonda plus fordien que jamais) lui demande pourquoi il se donne autant de mal à être un « fils de pute », Pittman répond avec une sorte de colère contenue : « Parce que j'en suis un, c'est ma profession !!! ».
Sans aucune distinction sociale, le monde du "Reptile" est exclusivement composé d'escrocs. Pitman entre dans le bureau du premier directeur, LeGoff (Martin Gabel visqueux à souhait) ; un univers d'esthète dans lequel les cigares raffinés, les livres et la petite musique de nuit de W.A. Mozart forment les compositions d'un salon des plus raffinés ; on se croirait dans les intérieurs de Cecil Fox dans "Guêpier pour trois abeilles" ou de ceux d'Andrew Wyke dans "Le Limier" ; Pitman, sale, moite, s'assoit sur un canapé XIXe siècle et commence à discuter affaires avec le directeur assermenté par l’État ; le haut et le bas de la pyramide se rejoignent pour parler argent.
"Le Reptile" s'apparente à ces fables truculentes et cyniques sur la vilenie du genre humain que le cinéma italien fournira avec abondance dans les années 1970. Truculente par ce qu'elle détourne les poncifs du western italien : mélodie identifiant chaque personnage ou le jeu du couple homosexuel (magnifiques Hume Cronyn et John Randolph) accentuant les tics des comiques italiens. Enfin, et surtout, un schématisme volontaire (mais suspect) des protagonistes : le voleur, le shérif, le vieillard, le juge ou la prostituée. Par ailleurs, faire interpréter le voleur charismatique et décontracté par Kirk Douglas, le shérif par Henry Fonda et le vieillard par Burgess Meredith (qui interprétait déjà à 37 ans les rôles de grand-père) révèle une intelligence de casting exemplaire.
On l'a écrit maintes fois avant moi, les films de Mankiewicz représentent tous une quête désespérée de la vérité. La vérité des êtres, des choses, des situations. Quête toujours agrémentée d'une réflexion sur les apparences et les faux-semblants.
De tous les films de son auteur, "Le Reptile" est l'œuvre dans laquelle on transpire et on urine le plus, mais aussi celle où les excréments apparaissent de manière systématique et symbolique. Une œuvre où apparaît même un plan insensé, emphase évidente de la saleté inhérente d'un Ouest démythifié : un zoom coup de poing sur un tas de crottins de cheval. Lors du tournage, Mankiewicz déclarait même avec une certaine provocation : « Mon film sera l'unique production où l'on ne dira pas « coupez ! » lorsqu'un cheval commencera à uriner ». Tous les grands moteurs de la société sont dénoncés avec cynisme et dégoût : argent, sexe, mensonges des religieux, des hommes de loi… Plus que jamais l'homme se ment et se trompe, mais accélère, sans le savoir, l'arrivée de sa propre mort.
Le cynisme est total. Le résultat, jubilatoire.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Un faux western, qui n'est en réalité pour Mankiewicz qu'une occasion de mystifier sans cesse le spectateur par un constant renversement des valeurs. À redécouvrir, le film ayant été un échec.
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
La rencontre de deux générations : les jeunes scénaristes Robert Benton et David Newman ("Bonnie and Clyde") et Joseph Mankiewicz, dont c'est le premier western. Les rapports ambigus d'un bandit incarcéré et d'un représentant de l'ordre. Un premier montage de 165 minutes est ramené à 125 minutes avant la sortie.
Le générique du "Reptile" conçu par Wayne Fitzgerald