« The truth does not matter, there is only the power of men. »
titre original | "The Last Duel" |
année de production | 2021 |
réalisation | Ridley Scott |
scénario | Nicole Holofcener, Ben Affleck et Matt Damon, d'après le livre de Eric Jager |
photographie | Dariusz Wolski |
musique | Harry Gregson-Williams |
interprétation | Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer, Ben Affleck |
Le titre du film
Il fait référence au fait que le duel Carrouges-Legris de 1386 fut le dernier duel, ou plutôt, l'un des derniers duels judiciaires autorisés en France (le dernier duel à être autorisé publiquement eut lieu en 1547 au château de Saint-Germain-en-Laye).
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Neige, froid et brouillard. Portraits de meurtriers comme dans "Les Duellistes", "Blade Runner" ou "Kingdom of Heaven".
Même si l'on peut voir cet opus comme le dernier fragment d'une trilogie sur le Moyen Âge (avec "Kingdom of Heaven" et "Robin des Bois"), le scénario fait, plus que jamais, la part belle aux finesses psychologiques. La construction à la "Rashomon", reprise avec une intelligente sobriété, développe les protagonistes avec profondeur.
La reconstitution historique mélangeant numérique et décors naturels est admirable, et la musique se fait le plus souvent subtile et inquiétante (cf. la surprenante séquence de rêve de Le Gris).
Damon est étonnant en brute détestable, Ben Affleck excelle dans un rôle particulièrement ingrat et Adam Driver - d'un charisme démoniaque - est superbe en arriviste bestial. Symbole de la violence faite aux femmes, mais aussi de la révolte légitime de ces dernières, Jodie Comer éclaire avec grâce ce monde de ténèbres.
L'ultime scène, rappelant "Legend", conclut cette plongée dans le passée sanglant de la France par une note onirique et apaisée.
Un très beau film.
Échec cuisant pour un diamant noir (Sébastien Miguel)
Avec un profit mondial de 28,9 millions de dollars (pour un budget de plus de 100 millions), "Le Dernier Duel" est un échec cuisant. On notera que le premier weekend américain, avec 4,8 millions de dollars (pour une prévision annoncée à 10 millions), correspond au pire démarrage existant pour un film de Ridley Scott.
Ce désastre financier soulève un certain nombre de questions. Le studio Fox Searchlight (propriété de Disney) a-t-il sabordé la sortie du film ? La réponse du réalisateur de "Blade Runner" est sans appel : « Disney a fait un travail fantastique sur la promo. J'avais peur que ce ne soit pas un film pour eux, mais les patrons du studio ont vraiment aimé le film et ils l'ont bien vendu. Toute la promo était excellente. »
La déception se transforma en colère quand Scott rajouta : « Je pense que cela se résume à ça : on a un public qui a été élevé avec ces putains de téléphones portables. Des Millenials qui ne veulent jamais apprendre quoi que ce soit à moins que ce ne soit marqué sur leurs smartphones. C’est un trait général de la société, et nous y faisons face en ce moment avec une génération Facebook. Une génération qui suit une mauvaise direction à mon avis. »
La faute à une génération ? Possible... Mais "Le Dernier Duel" ne répond en rien à un blockbuster industriel standard. La durée (apparemment) excessive fut condamnée par la presse américaine (avec quelques remarques identiques du côté de Télérama). À mon entrée en salle, un employé du cinéma me lança : « Attention. Cela dure 2h35 ! » Personne ne critique la durée du dernier "Avengers", mais "Le Dernier Duel" était manifestement dans le péché.
La réitération de l'histoire fut jugée majoritairement ennuyeuse, alors qu'aucun point de vue n'est identique et cela même dans les scènes qui se répètent.
La Covid empêcha le film d'être distribué dans un contexte normal (la production elle-même en fut impactée) et les plus de 45 ans (selon une enquête américaine) ne sont pas revenu en salle aux États-Unis.
De plus, un film narrant une page très ancienne de l'histoire de France n'intéresse pas le jeune public américain*. Public qui ne connaît de notre pays qu'une image stéréotype véhiculée par quelques navets exécrables : "Irma la douce", "French Kiss" ou "Une bonne année" de… Ridley Scott !
Le climat glacial du film (jusque dans les très belles affiches de promotion), la réitération de la scène de viol, les antihéros en têtes d'affiches : tout concourait à faire de cette production sans compromis un film 'difficile'. Mais difficile pour qui ?
L'échec commercial tonitruant du "Dernier Duel" révèle l'impossibilité pour une production adulte de trouver son public aujourd'hui. L'uniformisation triomphante de l'industrie hollywoodienne (reboots innombrables, super-héros innombrables), en inondant de produits identiques une génération gavée d'images, ne permet plus la réussite d'entreprises narratives et visuelles originales**.
Le temps, indissociable de cet art du passé qu'est le cinéma, pourra probablement redonner sa juste place aux compositions ténébreuses et ensorcelantes de ce diamant noir qu'est (et que restera) ce "Dernier Duel". Mais au vue du triomphe d'un objet sordide comme "Red Notice", l'inquiétude est clairement de mise.
* Le public américain ignora le film, mais aucun autre pays en Europe n’y fit un accueil favorable. Y compris la France !
** Si Villeneuve a triomphé avec "Dune, 1er partie" (après l'échec de "Blade Runner 2049", produit par Ridley Scott), c'est en partie en gommant - dans sa seconde moitié - son style ascétique au profit d'une succession de scènes d'action sanglantes et guerrières.
Lieux de tournage
Le tournage a lieu en Dordogne dans les environs de Sarlat-la-Canéda : au château de Beynac, au château de Fénelon (uniquement pour des extérieurs) ou encore à Monpazier, place des Cornières, là-même où Ridley Scott avait déjà tourné, plus de quarante ans auparavant, au moins deux scènes des "Duellistes" (1977), son premier film.
Il s'est ensuite déplacé vers Narbonne, à l'abbaye de Fontfroide, puis au château de Berzé en Saône-et-Loire.
Le tournage s'est poursuivi et achevé en Irlande, notamment à Bective Bridge et Bective Abbey dans le comté de Meath et au château de Cahir dans le comté de Tipperary (également lieu de tournage du film "Excalibur").
La critique de Bertrand Mathieux