titre original | "Blade Runner 2049" |
année de production | 2017 |
réalisation | Denis Villeneuve |
scénario | d'après les personnages du roman "Do Androids Dream of Electric Sheep?" de Philip K. Dick |
photographie | Roger Deakins |
musique | Hans Zimmer et Benjamin Wallfisch |
interprétation | Ryan Gosling, Dave Bautista, Robin Wright, Ana de Armas, Jared Leto, Harrison Ford, Sean Young |
récompense | Oscar des meilleurs effets visuels |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Probablement le film d'art et d'essai le plus cher de l'histoire du cinéma américain !
Anti-blockbuster radical ne laissant aucun répit à un public gorgé de produits industriels calibrés et sans âme, "Blade Runner 2049" bafoue toutes les règles, toutes les conventions.
Projet suicidaire, mais aussi beau bateau ivre à la tristesse sans nom : arbre mort gardant un secret, androïde dépressif, cyborg meurtrière renversante (Sylvia Hoeks, splendide), enfant esseulé à la recherche d'un père...
Interprétation générale remarquable.
Le scénario d'Hampton Fancher, dense et aux multiples résonances psychanalytiques, déploie ses ramifications complexes avec lenteur et mépris des recettes éculées.
Les compositions esthétiques de Villeneuve et Deakins sont admirables, les décors impressionnants et la partition musicale de Benjamin Wallfisch et Hans Zimmer résonne avec la fureur terrifiante d'un opéra barbare.
Pourtant, derrière la vision cauchemardesque de ce monde dystopique (et cette violence généralisée parfois insupportable), cette suite insensée n'exalte avec obstination qu'une seule et même chose : la tout puissance, la force inaltérable de l'amour.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Hollywood ne s'est jamais encombrée de principes artistiques pour recycler tout ce qui, dans le patrimoine cinématographique mondial, peut lui laisser envisager une possibilité de gains substantiels. Ce furent d'abord les remakes, suivis par les suites, puis les préquelles et autres reboots, spin-off ou crossover. L'œuvre de Ridley Scott en a fait prématurément l'expérience avec "Alien, le 8ème passager" (1979), qui fera l'objet dès 1986 d'une suite très estimable avec "Aliens, le retour" de James Cameron. Lui-même, avec moins de succès, se prêtera au jeu en 2001 en commettant une suite ("Hannibal") au fameux "Silence des agneaux" (1991) de Jonathan Demme.
Curieusement, "Blade Runner" sorti en 1982, film culte par excellence, adaptation osée du prétendu non transposable à l’écran "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" de Philip K. Dick, aura tenu près de quarante ans avant que la tentation soit devenue trop grande de s'attaquer à la mise en chantier d'une suite de ce chef-d'œuvre incontournable. Juste après Christopher Nolan initialement envisagé à la réalisation, l'heureux élu a été Denis Villeneuve, qui venait de montrer que son talent pouvait s'accorder au domaine de la science-fiction après avoir réalisé le très réussi "Premier contact" qui, en plus d’avoir été un réel succès commercial, avait été adoubé par l'ensemble de la critique. Par ailleurs, la complexité attendue du scénario et surtout les questions métaphysiques qu'il soulève plaident sans aucun doute pour que ce projet ambitieux, mais aussi très risqué, soit confié au réalisateur canadien. Ridley Scott donnant sa bénédiction et s'impliquant dans la production au même titre qu'Hamton Fancher participant à la rédaction du scénario comme sur le premier opus, "Blade Runner 2049" était alors sur les bons rails.
Outre son imagerie complétement révolutionnaire, qui n'a d'ailleurs pas pris une ride, le film de Ridley Scott tirait sa force des interrogations majeures qu'il posait au spectateur. Qu'en sera-t-il de ses fondements existentiels quand l'insistance de l'homme à toujours repousser les limites du progrès technologique amènera à le voir dépassé par ses propres créations ? Le vieux rêve de l'immortalité peut-il être atteint ou seulement approché par procuration via des androïdes ultra-perfectionnés (réplicants) auxquels auront été implantés des souvenirs humains ? Parcouru par toutes ces thématiques, le film de Ridley Scott a suscité à ce point le doute que sa légende s'est en partie construite sur le fait de savoir si le blade runner Rick Deckard joué par Harrison Ford, présenté en introduction comme un humain, n'était pas finalement lui-même un réplicant.
Sur l'aspect visuel, Denis Villeneuve, en adéquation parfaite avec l'humeur du moment, a choisi d'assombrir nettement l'univers proposé par Scott. Los Angeles est donc devenue tout à la fois une ville morte et une décharge à ciel ouvert, symbole d'une ère pré-apocalyptique. Mais pour ne pas trahir l'œuvre séminale et ne pas heurter la susceptibilité de ses fans les plus fervents, le réalisateur très sage a pris un soin tout particulier à convoquer à intervalles réguliers certains personnages emblématiques (apparition finale d'Harrison Ford, Mariette petite sœur peroxydée de Pris jouée par Daryl Hannah en 1982, cameo d'Edward James Olmos) ou certains décors urbains parmi les plus signifiants (publicités vivantes sur les façades d'immeubles, le marché de Chinatown, le quartier général du LAPD...). Idem pour la musique d'Hanz Zimmer et de Benjamin Wallfisch, très fidèle à celle de Vangelis. Procédé habile et respectueux, que certains pourront toutefois trouver trop consensuel ou trop sage, voire même opportuniste.
Mais c'est surtout dans le prolongement de l'interrogation existentielle développée par Ridley Scott au-delà du suspense empruntant au film noir, que le film trouve sa justification. La proposition est cette fois-ci renversée pour amplifier encore la confusion entre l'homme et sa créature. C'est l'agent K du LAPD, interprété par un Ryan Gosling marmoréen comme à ses plus beaux jours, qui en vient à douter de son statut de réplicant quand il fait le lien avec un souvenir d'enfance qu'il croyait implanté, alors qu'il enquête sur la maternité réelle d'une réplicante. Homme dont l'humanité est remise en question à travers Rick Deckard, réplicant ignorant sa condition avec Rachel (Sean Young) dans le premier opus, et maintenant le blade runner se prenant à rêver d'une vraie naissance. La démonstration est faite qu'au-delà du fardeau de la mort, rien n'est plus enviable que le statut d'être humain avec son cortège d'émotions.
Le virtuel qui envahit le Los Angeles de 2049, même s'il a les atours de la très troublante Ana de Armas qui tient lieu de petite amie sur commande à l'agent K, n'est qu'un faux nez dont l'image de synthèse elle-même souhaite s'extirper de sa condition en réclamant une forme d'autonomie avec pour perspective la mort au bout du chemin. Le film de Villeneuve comme celui de Ridley Scott tente de prévenir l'homme du risque encouru par sa soif morbide de toujours aller au-delà des limites que lui fixe la nature. Entre les deux, quarante ans se sont écoulés, et personne ne s'étonnera que la vision de l'avenir développée par Denis Villeneuve ne soit pas teintée de rose, mais plutôt d'un orange-soufre.
Enfin, pour les amoureux d'énigmes indéchiffrables, on pourra noter qu'avec l'enfant né de l'union entre Rachel et Rick Deckard, toutes les supputations sur le statut d'humain ou de réplicant des deux héros sont ouvertes. La légende de "Blade Runner" n'est donc pas prête de s'éteindre. Tant mieux !
Affiches alternatives de "Blade Runner 2049" et autres hommages d'illustrateurs
Couvertures de magazines
La chronique de Gilles Penso
La critique de Bertrand Mathieux