titre original | "Cat People" |
année de production | 1982 |
réalisation | Paul Schrader |
scénario | Alan Ormsby, d'après le scénario de DeWitt Bodeen |
photographie | John Bailey |
musique | Giorgio Moroder |
maquillage | Tom Burman |
direction artistique | Fernando Scarfiotti |
production | Charles W. Fries |
interprétation | Nastassja Kinski, Malcolm McDowell, John Heard, Annette O'Toole |
version antérieure | "La Féline" de Jacques Tourneur, 1942, États-Unis |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Entre 1976 et 1982, Paul Schrader est un homme qui compte à Hollywood. Scénariste reconnu, il a écrit en quatre ans rien de moins que les scénarios de "Taxi Driver" et de "Raging Bull" pour Martin Scorsese sans oublier celui d'"Obsession" pour Brian De Palma. Il a aussi effectué des débuts de réalisateur plus que prometteurs avec "Blue Collar" et "Hardcore".
Porté par la vague disco et l'esthétique MTV, chaîne diffuseur de clips en continu, il propose en 1980 "American Gigolo", qui permet à Richard Gere d'être propulsé au rang de star mondiale. Le film remporte un solide succès au box-office, mais la critique renâcle quelque peu face à ce qu'elle juge comme un long clip principalement destiné à mettre en avant la plastique et les exploits sexuels de l'escort-boy interprété par Gere. La musique de Giorgio Moroder, pape du disco et découvreur de Donna Summer, ne contribue pas à crédibiliser le projet aux yeux de l'intelligentsia. On commence donc à reprocher à Paul Schrader, fils de calvinistes rigoristes, un goût trop prononcé pour l'épate et un manque de discernement quant au choix de ses sujets quand il n'est pas cornaqué de près par un réalisateur. En un mot, on lui conseille gentiment de se cantonner au rôle de scénariste, le seul où il fait jusqu'alors autorité.
Se moquant comme d'une guigne de ce premier avertissement, Schrader enfonce le clou en osant s'attaquer à "La Féline" de Jacques Tourneur (1942), emblème intouchable de la parfaite maîtrise du noir et blanc au service de la diffusion du sentiment d'angoisse par le biais de la suggestion. Paul Schrader aura beau donner immédiatement derrière un gage de sérieux avec une biographie de l'écrivain japonais Yukio Mishima très réussie, mais à la portée forcément confidentielle, il n'accédera plus jamais vraiment à la reconnaissance critique et doucement, sa carrière de réalisateur s'enfoncera jusque dans le marais des direct to video.
Près de quarante ans après la sortie de "La Féline" version 1982, il convient de porter un jugement dénué de la partialité contextuelle de l'époque. Tout d'abord, il faut saluer l'effort de Schrader de conserver le postulat initial voulu par Tourneur pour en offrir ensuite une autre lecture. Nastassja Kinski, fille de l'acteur autrichien fantasque Klaus Kinski âgée de 22 ans, fait alors un démarrage de carrière en fanfare. Dirigée par deux réalisateurs à très forte personnalité, sa beauté incandescente vient d'éclater au monde dans "Tess" (Roman Polanski, 1979) et dans "Coup de cœur" de Francis Ford Coppola. Si, comme dans la version de Tourneur, le récit s'articule autour de l'éveil à la sexualité d'une jeune femme encore vierge, apeurée à l'idée de voir se déclencher une malédiction familiale qui veut que dans sa fratrie, la montée du désir s'accompagne de l'instinct de mort matérialisé par la transformation en panthère noire tueuse, Schrader se veut plus ambigu quant aux réelles intentions d'Irena Gallier (Nastassja Kinski).
C'est donc à dessein qu'est introduit le personnage de Paul Gallier interprété par Malcolm McDowell, frappé de la même malédiction. Le dilemme cornélien auquel est soumis Irena lui intime de renoncer à toute vie amoureuse si elle veut éviter les conséquences criminelles qui en découlent, ou alors de franchir le tabou de l'inceste si elle veut laisser s'exprimer ses pulsions. Pour faire ressentir au spectateur le combat incessant entre innocence et sensualité qui agite Irena, Paul Schrader ne pouvait sans aucun doute trouver plus convaincante que Mademoiselle Kinski, dont la performance n'a pas pris une ride.
Certes, pour habiller le difficile cheminement d'Irena qui n'aura de choix que dans la radicalité, Paul Schrader a choisi une esthétique de son temps qui pouvait, en 1982, être jugée un peu trop kitsch par les adeptes d'un classicisme pur et dur. Mais n'est-ce pas aujourd'hui ce qui fait l'originalité du film ? La musique de Giorgio Moroder, par exemple, ne s'avère pas aussi envahissante qu'on aurait pu le craindre, et l'ancien disc-jockey italien parvient même à trouver des envolées aériennes ou hypnotiques tout à fait en phase avec le propos.
Peut-être la scène de la piscine, qui constituait le moment fort où tout le savoir-faire de Jacques Tourneur était à l'œuvre dans la version de 1942, aurait-elle dû ne pas être reproduite ? Ainsi, il aurait pu complètement marquer sa totale indépendance par rapport à son glorieux aîné. Mais on absoudra Paul Schrader, qui montre une fois de plus que sa vocation de réalisateur n'est pas surfaite.
La chronique de Gilles Penso