titre original | "House of Gucci" |
année de production | 2021 |
réalisation | Ridley Scott |
scénario | Becky Johnston et Roberto Bentivegna |
photographie | Dariusz Wolski |
musique | Harry Gregson-Williams |
interprétation | Lady Gaga, Adam Driver, Al Pacino, Jeremy Irons, Jared Leto, Jack Huston, Salma Hayek, Camille Cottin |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
À 84 ans et 27 films à son palmarès en 44 ans de carrière, Ridley Scott n’a jamais été aussi actif. L’ancien réalisateur de publicité venu en 1978 de son Angleterre natale à Hollywood pour y réaliser "Alien", qui révolutionna l’univers des films de science-fiction en introduisant l’horreur dans un vaisseau spatial, est aujourd’hui presque unanimement célébré. Si c’est à travers les films d’anticipation ("Blade Runner" en 1982, "Seul sur Mars" en 2015) et les films épiques ("Les Duellistes" en 1977, "Thelma et Louise" en 1991, "Gladiator" en 2000) qu’il est le plus reconnu, Scott a depuis abordé tous les genres avec plus ou moins de succès, y compris celui de la comédie qui semble à priori le plus éloigné de son univers ("Les Associés" en 2003, pochade déjantée méconnue avec Nicolas Cage et Sam Rockwell, particulièrement jouissive).
En ce début des années 2020, il finit par concrétiser un projet datant de 2006, relatant par le menu les déboires financiers, sur fond de guerres intestines, de la famille Gucci qui jalonneront les années 1980 et 1990 pour aboutir à la perte de contrôle de la direction de l’empire du luxe Gucci et à l’assassinat de l’héritier Mauricio Gucci (Adam Driver) commandité par son épouse, Patricia Reggiani (Lady Gaga). Deux générations auront donc suffi pour voir une famille puissante et richissime éjectée de la direction de l’entreprise fondée en 1921 par le maroquinier italien Gucio Gucci. Cette saga tragique a été le sujet du livre romancé de l’écrivaine allemande Sarah Gay Forden, best-seller de l’année 2000, "The House of Gucci: A Sensational Story of Murder, Madness, Glamour, and Greed". Un tel sujet, traitant des vices et turpitudes au sein du monde de l’argent et de la jet-set, devait fatalement attirer Hollywood. Pressenti on l’a dit en 2006, Ridley Scott, après bien des péripéties de production, revient dans le jeu en 2019.
Après sa nomination aux Oscars en 2019 pour sa prestation remarquée dans le remake de "A Star Is Born", c’est Lady Gaga qui tient le rôle de Patricia Reggiani, celle qui, désormais en prison, n’est plus connue que comme la veuve noire du clan Gucci, pour avoir possiblement précipité ladite famille dans le gouffre en raison de son influence néfaste sur le trop tendre Mauricio Gucci, qu’elle avait « déniaisé » alors qu’il était encore étudiant avocat. Le scénario reprend cette thèse, qui permet à la formidable Lady Gaga de livrer une prestation époustouflante en virago prise de la folie des grandeurs et prête à tout pour se retrouver à la tête du groupe une fois la bague au doigt obtenue. La jeune chanteuse expérimentée devenue actrice, qui effectue une mue des plus intéressantes, est de quasiment tous les plans, livrant une interprétation à mi-chemin entre le jeu enfiévré d’une Anna Magnani et celui tout aussi volcanique mais davantage sensuel d’une Liz Taylor à laquelle son époux dans le film la compare fort à propos.
Son manque d’instruction et de rang qui la conduit à être un peu dédaignée, voire parfois méprisée par les membres actifs de la famille, n’empêche pas l’obstinée Patricia de comprendre parfaitement la psychologie de chacun des personnages importants qu’elle saura tour à tour séduire, corrompre, puis monter les uns contre les autres. La réalité vraie n’a sans doute pas été celle-là, mais Ridley Scott profite habilement des entorses insérées dans le roman et le scénario pour plonger le spectateur dans une intrigue captivante, mais aussi acerbe et souvent moqueuse, qui décrit parfaitement les mœurs d’un milieu où l’argent ne compte plus jusqu’à ce qu’une génération moins brillante que les précédentes finisse par oublier qu’il faut tout de même alimenter la machine. Processus connu qui a détruit petit à petit le capitalisme familial tout au long du XXe siècle, mais qui aura été particulièrement rapide et violent concernant la famille Gucci.
Autour d’une Lady Gaga en apesanteur, s’ébattent un Al Pacino toujours aussi charismatique, un Adam Driver ambigu à souhait, devenu l’homme qui monte à Hollywood, un Jeremy Irons efficace comme à son habitude, une Salma Hayek surprenante, un Jared Leto comme toujours adepte d'un transformisme outrancier et enfin un Jack Huston, petit-fils du grand John, onctueux au possible dans le rôle du conseiller de l’ombre tirant les ficelles. Le tout ceint d'une esthétique comme toujours somptueuse, avec Ridley Scott qui travaille encore une fois avec le chef-opérateur Dariusz Wolski qui ne le quitte plus depuis "Prometheus" (2012). La musique de Harry Gregson-Williams mariant avec efficacité airs d’opéra et musique disco donne à chacune des scènes la tonalité qui lui convient.
Le réalisateur n’a certainement plus la force créatrice ni la fulgurance visuelle de ses meilleures années, ce qui l’amène à traiter de manière plus conventionnelle des sujets peut-être moins ambitieux, mais son savoir-faire incomparable intact, façonné par l'expérience, fait de "House of Gucci" un film captivant à défaut d’être destiné à rester durablement inscrit dans les mémoires.