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"Barton Fink"

Hotel Earle : « A day or a lifetime »

Barton Fink - affiche

titre original "Barton Fink"
année de production 1991
réalisation Joel Coen
scénario Joel et Ethan Coen
photographie Roger Deakins
musique Carter Burwell
interprétation John Turturro, John Goodman, Judy Davis, John Mahoney, Tony Shalhoub, Jon Polito, Steve Buscemi
récompenses • Palme d'or au festival international du film de Cannes 1991
• Prix de la mise en scène au festival de Cannes 1991
• Prix d'interprétation masculine pour John Turturro au festival de Cannes 1991

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

En 1989, les frères Coen entament l’écriture de "Barton Fink" alors qu’ils peinent à finir le scénario de "Miller’s Crossing", film de gangsters lorgnant d’un œil goguenard et distancier du côté des productions de la Warner des années 1930 où brillaient, mitraillette à la main, les Paul Muni, George Raft et autres Humphrey Bogart. N’arrivant pas à venir à bout des multiples intrigues qui s’entremêlent comme autant de trahisons au sein de gangs et malfrats en tension, les deux frères s’exilent à New York pour travailler sur un autre projet, qui sera comme un exutoire à leur problème temporaire de création à travers un écrivain de théâtre new-yorkais venu, sur les conseils de son agent, « se remplir les poches à Hollywood » pour mieux repartir vers des projets plus « ambitieux ».

Il faut dire que les deux frères ont à l’époque un statut encore un peu précaire à Hollywood. Leur premier film "Sang pour sang", film noir devenu culte, a certes été salué par la critique, mais il n’a pas été un franc succès commercial. C’est en réalité "Arizona Junior", leur comédie décalée, un peu foutraque et jouissive, qui a assis leur notoriété aux États-Unis. Il leur faut donc frapper fort assez rapidement pour ne pas être condamnés à devenir des yes men, dont ils ne sont pas sûrs de posséder, ni la ductilité, ni la force productive (ils n’ont tourné que deux films en sept ans). Un statut qui sans aucun doute mettrait fin à leur liberté créative, mais aussi et surtout nuirait à leur collaboration.

S’ils n’ont eu aucun mal à écrire en trois semaines "Barton Fink" avant de s’atteler au tournage de "Miller’s Crossing", c’est peut-être qu’ils ont côtoyé de près toutes les phobies de Barton Fink interprété par un John Turturro en apesanteur, réalisant avec maestria la synthèse des deux frères plongés dans les affres de la crainte d’une créativité qui, à peine exploitée, se décollerait de leurs cerveaux comme le papier peint de la chambre occupée par Fink au Earle Hotel. Bizarrement rempli sans que celui-ci n’y croise jamais personne, hormis un curieux vendeur d’assurances (John Goodman), le Earle hôtel et sa chambre suintante ne symbolisent sans doute rien d’autre que l’univers mental du scénariste complètement déstabilisé par la démarche que lui a imposée son agent. L’image du rocher fouetté par les vagues du Pacifique assurant la transition entre l’univers intellectuel nombriliste new-yorkais dans lequel évolue Fink et le soleil aveuglant qui baigne la Mecque du cinéma, montre la rapidité avec laquelle les repères du petit écrivain un peu trop sûr de la pureté de son talent vont être balayés.

À partir de ce postulat de départ, les deux frères s’amusent en se jouant de toutes les clichés qui nimbent l’univers des studios. La scène épique où un Barton Fink éberlué fait face à Jack Lipnick, « mogul » monstrueusement interprété par un Michael Lerner dantesque, devenu tout à la fois Jack Warner, Harry Cohn et Louis B. Mayer, donne d’entrée le ton de ce qui va suivre. Une farce référentielle où les deux frères se moquent d’eux-mêmes et de leurs angoisses. La présence incongrue de l’intrigue meurtrière au milieu du film a amené certains à s’interroger sur la signification exacte de la présence de ce tueur en série, qui vient brusquement chambouler encore un peu plus la psyché d’un Barton Fink faisant progressivement le douloureux constant, face à une page blanche n’en finissant pas de le rester, qu’il n’est pas capable d’exécuter la commande d’un Jack Lipnick curieusement bienveillant.

Formidablement secondés par leur nouveau directeur de la photographie, Roger Deakins, les frères Coen délivrent une esthétique somptueuse allant piocher dans les univers visuels de Roman Polanski ("Le Locataire") et Stanley Kubrick (l’hôtel l’Overlook de "Shining" abritant l’atonie créative de Jack Torrence) ou encore David Lynch, en affublant John Turturro de la coiffure proéminente de Jack Nance dans le très troublant "Eraserhead". On y croise aussi le fantôme de William Faulkner (John Mahoney) venu lui aussi vendre son talent et un peu de son âme à Hollywood.

Trop vouloir se livrer à l’exégèse d’un film que les deux frères n’ont pas cherché eux-mêmes à expliciter, peut être un exercice gratifiant, voire jubilatoire, mais aussi faire passer à côté de sa substance réelle, qui pourrait être un brillant exercice de style libératoire visant à solliciter tous les sens du spectateur aiguillonnés par deux frères qui ont voulu tout simplement transcender par la dérision un moment de doute.

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Palme d'or au festival de Cannes en 1991, avec un prix d'interprétation pour John Turturro, ce film qui enthousiasma Polanski était trop dérangeant pour connaître un succès populaire comparable aux précédentes Palmes d'or.

Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon

Un dramaturge populiste genre Clifford Odets débarque à Hollywood en 1941 et s'installe dans un vieil hôtel aussi inquiétant (c'est, presque littéralement, l'enfer...) que celui de "Shining". Il doit alors faire face à la page blanche (son scénario pour Wallace Beery en catcheur ne dépassera pas le premier paragraphe), à un voisin de chambre imprévisible, à un producteur mégalomane et vociférant, à des policiers grossiers et antisémites (pour couronner le tout, il se réveille avec un cadavre dans son lit)... Du comique inoffensif, bien qu'insolite, des premières scènes, le film dérive progressivement vers le cauchemar, la fantasmagorie surréalisante, culminant dans l'embrasement onirique du couloir de l'hôtel. Michael Lerner est génial dans le rôle du producteur, amalgame de Jack Warner, Harry Cohn et Louis B. Mayer, et John Goodman trouve le rôle de sa vie dans le personnage de l'assureur peu rassurant. Quatrième film des frères Joel et Ethan Coen, "Barton Fink" est le plus original et le plus maîtrisé.

Couverture du numéro de juin 1991 des Cahiers du Cinéma
Affiche française de "Barton Fink" © Laurent Lufroy
Affiche alternative de "Barton Fink" © Matt Needle

Barton Fink - générique