Le "Sur les quais" de James Gray
titre original | "The Yards" |
année de production | 2000 |
réalisation | James Gray |
scénario | James Gray et Matt Reeves |
montage | Jeffrey Ford |
photographie | Harris Savides |
musique | Howard Shore |
interprétation | Mark Wahlberg, Joaquin Phoenix, James Caan, Charlize Theron, Faye Dunaway, Ellen Burstyn, Tony Musante, Victor Argo |
Le titre du film
Il évoque les voies de garage du métro dont il est question dans le film, the Sunnyside railroad yards, situées dans le Queens (l'un des cinq arrondissements - en anglais : borough - de la ville de New York, avec Manhattan, le Bronx, Brooklyn et Staten Island) et où les trains sont réparés.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Pour son deuxième film, James Gray réussit un nouveau coup de maître. Car voici enfin un polar sans folle poursuite de voitures et sans effets spéciaux. « Je n'ai, a-t-il déclaré, aucune affinité avec le cinéma américain d'aujourd'hui plein d'effet spéciaux. Je me suis arrêté en 1981. » Comment ne pas s'en réjouir ? Son film mêle scènes d'action et grands sentiments, sang et larmes. « Mon film, dit-il, est un croisement de "La Bête humaine" et de "Rocco et ses frères". Je désirais réaliser une œuvre d'un grand classicisme, simple mais pas simpliste. » Pari tenu.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
C’est grâce à Miramax, société de production des frères Weinstein, que James Gray parvient en 2000, six ans après "Little Odessa", à réaliser son deuxième film, dont une fois encore il écrit lui-même le scénario en y intégrant des éléments autobiographiques. Ici, un film de gangsters prenant pour cadre le scandale de corruption qui frappa la régie du métro de New York au sein de laquelle son propre père travaillait à la même époque. Comme chez Francis Ford Coppola, la famille est pour James Gray l’endroit où se jouent tous les drames, où se font et se défont toutes les destinées.
Comme Joshua Shapira (Tim Roth) qui, dans "Little Odessa", revenait dans son quartier d’enfance pour y exécuter un contrat, Leo Handler (Mark Wahlberg) rejoint le bercail, mais cette fois-ci après sa sortie de prison. Il va s’agir pour lui de se réinsérer afin de ne pas affaiblir un peu plus Val, sa mère (Ellen Burstyn), dont le cœur est usé par les méfaits à répétition de son fils unique. L’occasion est trop belle, son oncle Frank (James Caan) marié à la sœur de Val (Faye Dunaway) étant le PDG d’une société d’entretien des rames du métro new-yorkais. Les promesses d’usage vont donc bon train, permettant d’envisager sereinement une remise sur les « bons rails » du jeune égaré. Mais la présence de Willie (Joaquin Phoenix), le fiancé de la cousine (Charlize Theron débutante) de Leo qui mène grand train, lui laisse entrevoir une reconversion plus glorieuse et immédiatement plus lucrative. Willie gère en sous-main pour Frank toutes les négociations utiles à la « bonne attribution » des précieux marchés. Sous la pression de Willie et de sa femme, Frank accepte l’attelage improbable entre Willie et Leo qu’il semblait pourtant vouloir éviter à tout prix. Le ver étant dans le fruit, le jeu de massacre peut commencer.
Patiemment montée en mayonnaise par James Gray pendant le premier tiers du film où tous les ressorts complexes qui animent cette famille sont très finement exposés, la sauce est enfin prête à être servie pour lui permettre de montrer comment un simple pion placé au mauvais endroit peut conduire à faire vaciller toute une organisation patiemment construite avec ses codes et ses usages édictés autour de la corruption des édiles locaux. Il suffit dès lors d’une étincelle pour que les choses s’enclenchent. Ce sera la mort d’un gardien de dépôt au cours d’une expédition de sabotage organisée par Willie. Au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête qui s’ensuit, les masques tombent, laissant bien loin en arrière la cérémonie organisée pour le retour de Leo au bercail.
Filmant la plupart des scènes en clair-obscur, James Gray nous rappelle que chacun n’est jamais vraiment celui qu’il laisse paraître. Pire encore, les liens du sang n’ont de valeur que jusqu’à un certain point, et c’est sans doute un leurre que de vouloir absolument les sacraliser. James Gray, comme dans son premier film, mais de manière encore plus maîtrisée et subtile, parvient à marier point de vue sociologique, étude de caractères et film noir.
Le casting, encore une fois très impressionnant, est dirigé de la plus élégante des manières, comme le signalera Faye Dunaway dans une interview. Mark Wahlberg, avec son visage encore poupon, apporte toute l’ambiguïté utile à son personnage, qui semble pouvoir partir dans toutes les directions pour se révéler rapidement incontrôlable. Mais c’est la prestation du grand James Caan disparu le 6 juillet 2022 qu’il convient de saluer. Tout en retenue, comme prisonnier des pratiques de corruption qui semblent consubstantielles à la vie des marchés publics, son personnage tente vainement de concilier un code d’honneur avec des pratiques mafieuses. Un très grand acteur dont on n’oubliera pas les rôles les plus marquants comme dans "Le Parrain" (1972), "Le Flambeur" (1974), "Le Solitaire" (1981) et bien sûr "Misery" (1990). Bizarrement, le film a fait un flop au box-office, condamnant James Gray à sept ans d’attente avant de pouvoir monter "La nuit nous appartient". Au revoir, Monsieur James Caan.
Histoires de famille
Dans "The Yards", les personnages interprétés par Mark Wahlberg et Joaquin Phoenix sont cousins. Dans "La nuit nous appartient" du même James Gray, les deux acteurs joueront de nouveau des membres de la même famille, cette fois des frères.