(n. One who has returned, as if from the dead.)
titre original | "The Revenant" |
année de production | 2015 |
réalisation | Alejandro G. Iñárritu |
photographie | Emmanuel Lubezki |
musique | Ryūichi Sakamoto |
interprétation | Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Lukas Haas |
version précédente | "Le Convoi sauvage", Richard C. Sarafian, 1971 |
récompenses | • Oscar du meilleur acteur pour Leonardo DiCaprio |
• Oscar du meilleur réalisateur | |
• Oscar de la meilleure photographie |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Superproduction pachydermique, mais liberté totale laissée à un cinéaste visionnaire, dont les audaces iconoclastes en matière de mise en scène et de narration continuent de bouleverser le cinéma.
Techniquement époustouflant (l’attaque insoutenable de l’ours filmée en un seul plan séquence, le recours à de majestueux mouvements de caméra, l’utilisation d’un panoramique de 360 degrés…), "The Revenant" stupéfait aussi par l’équilibre subtil entre spectacle épique et digressions mystiques.
Si les reconstitutions historiques demeurent impressionnantes (Fort Kiowa écrasé par le blizzard, le village fantôme), le chemin de croix de Glass (DiCaprio) se rapproche aussi de l’exploration d’un univers mental où hallucinations et réalités se télescopent. Face à un Tom Hardy ("Inception", "Mad Max: Fury Road") formidable en couard meurtrier, Leonardo DiCaprio apparaît plus habité et plus vibrant que jamais.
Les paysages naturels, grandioses et menaçants, traversent littéralement l’écran dans toute leur beauté et leur âpreté glacées. Photo saisissante de Lubezki renforçant l’hyperréalisme - parfois atroce - de certaines situations.
Traversé de cataclysmes, "The Revenant" contient aussi un moment sublime, d’une poésie inouïe : les paroles tremblantes d’un père devant la dépouille de son fils, fébrile trémolo accompagnant l’âme du défunt vers la voûte azuréenne.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Trois fois nommé, jamais récompensé, il fallait bien que Leonardo DiCaprio, dont le talent protéiforme est reconnu par la critique internationale depuis ses débuts en fanfare en 1993 aux côtés de Robert De Niro dans "Blessures secrètes" de Michael Caton-Jones, reparte un jour de la cérémonie des Oscars avec la précieuse statuette. Sa performance ultra vitaminée et géniale dans "Le Loup de Wall Street", le meilleur film de sa collaboration avec Martin Scorsese, avait dû céder la place à la cure d’amaigrissement non moins méritoire de Matthew McConaughey pour "Dallas Buyers Club". N’ayant pas de film à présenter en 2015, 2016 devait obligatoirement être l’année de sa consécration annoncée.
Ce préambule pour rappeler que, si souvent les grands acteurs d’Hollywood finissent par être reconnus par l’académie des Oscars, ce n’est pas toujours pour leur rôle le plus signifiant. Paul Newman, longtemps boudé, s’est vu par exemple récompensé pour son rôle du revenant Eddie Felson dans un des films les moins personnels de Martin Scorsese ("La Couleur de l’argent"). Idem pour Henry Fonda, qui dut attendre quasiment l’année de sa mort pour atteindre le firmament ("La Maison du lac"). On pourrait aussi évoquer John Wayne et quelques autres.
Omniprésent à l’écran dans le film d'Alejandro G. Iñárritu, la nouvelle coqueluche d’Hollywood qui a raflé tout ce qu’il y avait à prendre l’année précédente avec "Birdman" (4 statuettes), et de surcroît soumis à une épreuve physique comme en raffolent les Américains, DiCaprio à lui seul a un peu masqué les insuffisances de cette épopée sauvage longue de près de trois heures, qui entend se placer au confluent d’autres films majeurs comme l’élégiaque "Jeremiah Johnson" ou le plus rugueux "Convoi sauvage".
On connaît le sens de l’épate d’Iñárritu, qui constitue sa marque de fabrique, mais aussi malheureusement parfois pose les limites de son talent. Il bat ici à plein régime, exposant un paradoxe qui pourra être vécu par certains comme une forme de duperie. En effet, si la promotion du film met clairement en avant le côté vériste du tournage réalisé dans des conditions dantesques, cherchant à s'inscrire dans la lignée des épopées que furent ceux de Werner Herzog avec son acteur fétiche Klaus Kinski ("Aguirre la colère de dieu" en 1972, puis "Fitzcarraldo" en 1982), et insiste lourdement sur la performance physique extrême de DiCaprio, la réalité à l'écran est tout autre, en dépit des magnifiques paysages filmés par Emmanuel Lubezki (Oscar de la meilleure photographie 2016).
Rien n'est en effet crédible dans cette histoire, dont le titre est bien choisi, tant l'éclaireur Hugh Glass ressemble à un héros Marvel en plus fort, n'ayant à sa disposition aucune armure en kevlar. Ce ne sont pas en effet les grimaces et grognements de souffrance d'un DiCpario hirsute qui parviendront à ramener le héros de "The Revenant" à une quelconque humanité qui pourrait nous toucher. Quand Jeremiah Johnson (Robert Redford) choisissait de quitter la civilisation des hommes en s'enfonçant dans les Rocheuses, c'est un véritable parcours initiatique souvent douloureux qui s'offrait à lui, permettant une adhésion aux thèses écologistes de Pollack grâce une parfaite identification du spectateur à un héros accessible.
Iñárritu, comme Pollack en 1972, est bien un cinéaste de son époque, mais désormais "le naturel doit être plus grand que nature", devant permettre à la technologie de pointe IMAX de donner au spectateur une sensation d'immersion qui n'est en réalité que factice. DiCaprio réduit aux grognements et éructations, c'est Tom Hardy qui se taille la part du lion en salaud de service parfaitement convaincant et qui aurait, lui aussi, mérité une statuette (dans la catégorie meilleur second rôle).
En résumé, on peut prendre un réel plaisir à la vision de "The Revenant" en l'abordant comme un film de super héros, mais en rien il ne faut espérer y retrouver la force brute de chefs-d'œuvre comme "Jeremiah Johnson" ou "Délivrance". Le succès remporté par Iñárritu depuis deux ans ne va sans doute pas l'inciter à plus de sobriété afin de redonner plus de consistance à son réel talent. Un talent qui commence malgré tout à se formater dans l'usine à blockbusters qu'est devenue Hollywood.
Les films d'Alejandro G. Iñárritu © Faboolis