Menu Fermer

"Sicario"

Sicario - affiche

titre original "Sicario"
année de production 2015
réalisation Denis Villeneuve
scénario Taylor Sheridan
photographie Roger Deakins
musique Jóhann Jóhannsson
interprétation Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin, Victor Garber, Jon Bernthal
 
suite "Sicario : La Guerre des cartels" de Stefano Sollima, 2018

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

Par les thèmes choc qu'il développe, le metteur en scène canadien Denis Villeneuve parvient à faire de chacun de ses films un évènement. Sa carrière commencée au Canada s'est poursuivie avec le même bonheur à Hollywood, où "Prisoners" (2013) a été un franc succès. "Enemy" qui l'a suivi a sans doute été incompris, mais a su recueillir sa part de critiques très positives. Son sens de l'efficacité, qu'il puise chez des réalisateurs comme Walter Hill, Clint Eastwood ou Michael Mann, ne sera une nouvelle fois pas démenti avec "Sicario".

Le film traite sur le mode thriller du problème apparemment insurmontable du trafic de drogue en provenance du Mexique vers les États-Unis, en s'inspirant du mode de narration choral du très réussi "Traffic" de Steven Soderbergh qui, avec déjà Benicio Del Toro à son casting, s'intéressait au même thème, mais exploré sous un angle plus politique. Juarez, la ville frontière avec le Mexique où sévit le fameux cartel fondé dans les années 70, est présentée par Villeneuve comme l'enfer sur Terre, à côté duquel les zones répertoriées comme de "non-droit" en France pourraient paraître être tenues par de gentils moines bénédictins.

On y croise des cadavres démembrés accrochés en pleine ville à des toboggans autoroutiers, pour tenir fermement en respect une population pourtant déjà terrorisée par les règlements de comptes entre trafiquants où les victimes collatérales sont considérées comme quantités négligeables. L'introduction du film, qui se passe à Phoenix au moment où le F.B.I. débarque en force dans un repère de trafiquants, est construite à dessein pour provoquer une immersion brutale du spectateur dans l'ambiance quotidienne de cette région frontalière où tout le film va se jouer. Une trentaine de cadavres momifiés cachés derrière les murs d'un pavillon d'une banlieue perdue dans le désert est découverte par une patrouille horrifiée. C'est à cette violence que doit faire face Kate Macer (Emily Blunt), jeune agent du F.B.I. récemment divorcée en perte de repères affectifs.

Denis Villeneuve, qui visuellement imprime à "Sicario" une tonalité froide proche de l'irréalité (photographie de Roger Deakins, chef-opérateur attitré des frères Coen), assez voisine de celle des derniers films de Kathryn Bigelow ("Démineurs" et "Zero Dark Thirty"), nimbe cet affrontement traditionnel entre C.I.A. et F.B.I. d'un parfum d'angoisse particulièrement efficace, qui transparaît à travers le regard pénétrant d'une Emily Blunt, parfait mélange de détermination obstinée et de fragilité absolue. Lui emboîtent merveilleusement le pas Benicio Del Toro, dans la partition parfaitement maîtrisée du latino sombre, inquiétant et charismatique, déjà rodée chez Steven Soderbergh ("Che" en 2008) et Andrea Di Stefano ("Paradise Lost" en 2014), ou encore Josh Brolin, acteur caméléon sans faille qui endosse la pelisse du chef de troupe madré et sans scrupule.

Derrière son efficacité incontestable qui le classe parmi les films commerciaux, "Sicario" pose sans détour, à travers l'affrontement brutal entre les deux services de renseignements américains, le dilemme auquel sont confrontées les démocraties occidentales face à la radicalité de dysfonctionnements (criminalité, intégrisme) qu'elles ont souvent elles-mêmes contribué à nourrir en leur sein.

Sicario - American Cinematographer
Couverture du numéro d'octobre 2015 du magazine American Cinematographer

Sicario - générique