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"Licorice Pizza"

Licorice Pizza - affiche

titre original "Licorice Pizza"
année de production 2021
réalisation Paul Thomas Anderson
scénario Paul Thomas Anderson
photographie Paul Thomas Anderson et Michael Bauman
musique Jonny Greenwood
production Paul Thomas Anderson, Sara Murphy et Adam Somner
interprétation Cooper Hoffman, Alana Haim, Sean Penn, Tom Waits, Bradley Cooper, Benny Safdie

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

La critique unanime s’accorde à dire que "Licorice Pizza", le neuvième film de Paul Thomas Anderson est de loin son plus enjoué et son plus débridé avec "Boogie Nights" (1997) et "Punch-Drunk Love" (2002) qui remontent tous les deux à plus de vingt ans. Par la même, semble reproché en sous-texte au réalisateur le manque de spontanéité de ses derniers scénarios qu’il écrit toujours seul, très pointilleux concernant son statut d’auteur accompagné d’une volonté d’indépendance créative totale qui rend ses films un peu froids et parfois difficiles d’accès. En sus, le caractère très affirmé d’Anderson depuis ses débuts, jugé parfois comme l’expression d’une suffisance à peine voilée, n’a guère suscité une empathie que d’ailleurs il ne semble pas rechercher.

Ce préambule établi, il est indéniable que "Licorice Pizza" ou littéralement « Pizza au réglisse », titre faisant référence à un magasin de disques vinyles des années 1970 situé à Los Angeles, entremêle harmonieusement une histoire d’amour juvénile échevelée avec un contexte social et politique prémonitoire que l’ensemble de la critique n’a pas vraiment relevé comme étant le message déterminant du film d’Anderson. Il faut dire que la prestation de Cooper Hoffman, le fils de Philip Seymour Hoffman tragiquement décédé en 2014 et fidèle compagnon de route du réalisateur, conjuguée à celle d’Alana Haim, repérée après qu’Anderson ait réalisé plusieurs des clips du trio musical que la jeune femme forme avec ses deux sœurs (présentes au générique), est tellement surprenante et attachante qu’elle peut occulter les questions que semble se poser le quinquagénaire ayant grandi dans la San Fernando Valley deux décennies après ses deux héros : Comment diable a-t-on pu en arriver là en ce tout début de XXIe siècle ? Comment ceux qui ont vécu cette période comme Gary Valentine (Cooper Hoffman) et Alana Kane (Alana Haim) ont-ils pu ne rien voir des changements profonds que le capitalisme adossé à une technologie toujours plus envahissante leur faisait accompagner et promouvoir à leur insu ?

En 1973, nous sommes juste après la fin du rêve hippie qui avait pris son envol sur la côte Ouest des États-Unis. La tuerie perpétrée par les séides de Charles Manson au 10050 Cielo Drive (la maison de Roman Polanski), le 9 août 1969 avait marqué comme un coup d’arrêt au rêve d’une vie meilleure détachée des préoccupations matérielles déjà trop présentes dans nos vies occidentales. En quatre courtes années, le marché avait repris sa marche en avant pour ne plus s’arrêter jusqu’au résultat que l’on connaît aujourd’hui. Par l’intermédiaire de ses deux fiancés qui ne cessent de se courir après sans jamais réellement s’attraper, "Licorice Pizza" montre par le menu comment le système prend par la manche tous ceux qu’il pense pouvoir être ses soldats zélés. L'informatique et les techniques de communication qui ne permettaient pas d’encore de tout encadrer et normer, laissaient pour quelque temps la place à une sorte d’artisanat débridé et bon enfant, donnant à Gary et à Alana l'illusion de croire que tout serait toujours possible à l’intérieur du rêve américain.

Mais comme une rupture indicible au milieu du film, le premier embargo pétrolier laisse percer une once d’inquiétude dans le regard perplexe d’Alana plus âgée que le jeune chien fou qu’est Gary tout comme sa découverte de l’univers frelaté de la politique lui infligeant sa première grosse désillusion. Mais l’amour et la soif de vivre de leur vie naissante sont plus forts que tout qui les font avancer tête baissée vers des décennies moins réjouissantes. C’est donc un Paul Thomas Anderson nostalgique d’une époque qu’il a à peine connu mais aussi inquiet qui se demande comme Alana, dévalant les collines de Beverly Hills en marche arrière au volant d’un camion de déménagement, où se trouve la pédale de frein. Donc, un film pas si optimiste et débridé que ce qu’il montre en façade avec ses personnages qui courent dans tous les sens, ses musiques endiablées ou funky choisies par Jonny Grenwood de Radiohead et ses intermèdes drolatiques interprétés par Sean Penn, Bradley Cooper et Tom Waits.

"Licorice Pizza" sera un de ces films à revoir dans quelque temps pour se demander ce qu’avait vraiment voulu y mettre son auteur que l’on sait fasciné par l’observation minutieuse des points de bascule de l’histoire, petite ou grande, de son pays : l'avènement du porno industriel dans "Boogie Nights", la naissance de l’industrie pétrolière dans "There Will Be Blood" (2007), la décadence créative d’un grand couturier dans "Phantom Thread" (2017).

Licorice Pizza - Cahiers du Cinéma
Couverture du numéro de janvier 2022 des Cahiers du Cinéma
Couverture du numéro de janvier-février 2022 du magazine Little White Lies
Illustration : Tim McDonagh
Licorice Pizza - Matt Needle
Affiche alternative de "Licorice Pizza" © Matt Needle