titre original | "Phantom Thread" |
année de production | 2017 |
réalisation | Paul Thomas Anderson |
scénario | Paul Thomas Anderson |
photographie | Paul Thomas Anderson |
musique | Jonny Greenwood |
costumes | Mark Bridges |
interprétation | Daniel Day-Lewis, Lesley Manville, Vicky Krieps |
récompenses | Oscar de la meilleure création de costumes |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Auteur et réalisateur exigeant au caractère indépendant, qui n'oublie toutefois jamais ce qu'il doit aux maîtres qu'il s'est choisis (Stanley Kubrick, Robert Altman et Jonathan Demme), Paul Thomas Anderson livre sans doute, avec "Phantom Thread", le film qui lui ressemble le plus. Reynolds Woodcock, couturier renommé, vaguement inspiré de Cristóbal Balenciaga, interprété par Daniel Day-Lewis, porte en lui tous les stigmates de l'artiste entièrement tourné vers son art, dont la vie personnelle est ordonnée autour de la peur panique que la source, si fragile, de la créativité finisse par se tarir.
Daniel Day-Lewis, qui doit son deuxième Oscar à sa collaboration avec Paul Thomas Anderson sur "There Will Be Blood", et qui a annoncé que "Phantom Thread" serait son dernier film, ne pouvait rêver sortie plus représentative de l'expression artistique qui fut la sienne tout au long des 21 longs métrages qui jalonnent sa prestigieuse carrière. La méticulosité liée au métier de couturier pouvait aussi résonner à l'esprit de Day-Lewis qui, après "The Boxer" de Jim Sheridan en 1997, avait pris une première retraite pour se former à Florence au métier de cordonnier.
Dans la grande maison bourgeoise de Londres transformée en atelier se pressent, en ces années 1950, toutes les célébrités et têtes couronnées d'Europe afin que le génial couturier ajuste à leurs corps les somptueux tissus qu'il découpe et assemble pour en faire des pièces uniques. Sa sœur Cyril (Lesley Manville) veille, depuis les débuts, aux détails logistiques, mais est aussi en charge de la précieuse tranquillité d'esprit évoquée plus haut. Elle est également à la manœuvre pour initier les nombreuses jeunes conquêtes de son frère à ses manies et obsessions, ainsi que pour leur montrer la sortie quand celui-ci commence à montrer des signes de lassitude qui succèdent rapidement à une nervosité possiblement nuisible au travail.
Quand il tombe sous le charme d'Alma (Vicky Krieps), jeune serveuse d'un restaurant où il a ses habitudes, Reynolds met, sans le savoir, le pied dans une relation qui va profondément bouleverser sa trajectoire, au moment même où son aura commence à être grignotée par de jeunes couturiers plus novateurs. La relation de Pygmalion qui s'instaure tout d'abord selon un rituel parfaitement rodé, est magnifiquement exposée par Thomas Anderson, qui montre, dans une scène fascinante de sensualité, comment Alma, avant toute relation charnelle, doit d'abord en passer par l'atelier de travail du maître qui, sous les yeux complices de sa sœur, façonne le modèle à sa convenance.
Mais "Phantom Thread", comme son titre l'indique, nous parle d'un fil invisible, celui que tisse patiemment Alma pour ramener Reynolds dans le monde des vivants, l'aidant à son insu à accepter l'indicible déclin de son inspiration que lui et sa sœur n'ont pas su voir approcher.
Toujours soucieux de maîtriser le maximum de paramètres de chacun de ses films, Thomas Anderson occupe exceptionnellement le poste de chef-opérateur. Ainsi, la relation avec son acteur, qu'il accompagne pour son dernier travail, ne sera trahie par aucun filtre. Le résultat est saisissant de perfection esthétique, encore renforcée par la musique de Jonny Greenwood, le guitariste et compositeur du groupe de rock britannique Radiohead, fidèle au réalisateur depuis "There Will Be Blood".
Certains ont parlé de conte pour décrire l'atmosphère de "Phantom Thread". Paul Thomas Anderson n'a pas démenti, tout comme il n'a pas contesté la parenté avec le "Rebecca" d'Alfred Hitchcock. Par contre, l'allusion au couturier espagnol Cristóbal Balenciaga (1895-1972), évoquée par le réalisateur lui-même, est sans doute un subterfuge utilisé pour ne pas nous dire directement que Reynolds Woodcock n'est en réalité personne d'autre que Paul Thomas Anderson.
Les films de Paul Thomas Anderson © Faboolis