titre original | "Night Moves" |
année de production | 1975 |
réalisation | Arthur Penn |
scénario | Alan Sharp |
photographie | Bruce Surtees |
musique | Michael Small |
interprétation | Gene Hackman, Susan Clark, Melanie Griffith, James Woods |
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
Un policier bachelardien, qui explore les quatre éléments avec toute la liberté d'une imagination rêveuse. Un héros œdipien qui se prend à son propre piège (Gene Hackman, flic encore et toujours aliéné : cf. "French Connection"). Une exploration complexe de rapports humains triangulaires, enchevêtrés et opaques. Dans une séquence finale géniale, Arthur Penn fournit l'explication (très compliquée) du mystère sans un mot, en termes purement visuels. Par ailleurs, le seul policier américain où l'on discute les films d'Eric Rohmer.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Curieux film, coupé en deux parties. La première relève du classique film noir, la seconde de l'aventure policière. Si l'on y ajoute une fin ambiguë, il y a de quoi être dérouté. Le personnage même du détective semble plus hanté par la découverte de la vérité sur lui-même que sur sa cliente. De là ce ton inattendu qui ne peut que surprendre et peut-être dérouter.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Ayant révolutionné le western avec son dernier film "Little Big Man" et n'ayant pas tourné depuis cinq ans, Arthur Penn, dont la filmographie restera assez ramassée (15 films en tout), accepte ce film qui devait être à l'origine réalisé par Sydney Pollack, à la condition de pouvoir sortir des stéréotypes du genre, notamment concernant l'image du détective.
Les années 60 et 70 sont des années de contestation où Hollywood, après avoir tremblé sur ses bases avec l'arrivée de la télévision dans les années 50, s'en est remis à de nouveaux réalisateurs qui, souvent inspirés par la Nouvelle Vague française, réinventent les genres qui ont constitué jusqu'alors la rente des studios. Arthur Penn, intellectuel de gauche, est au cœur de cette mouvance, ses films ayant jusqu'alors divisé la critique. Il fait appel à Gene Hackman qu'il avait déjà dirigé dans "Bonnie and Clyde" pour un rôle secondaire mais qui, depuis, a triomphé aussi bien commercialement ("French Connection", Oscar du meilleur acteur) qu'artistiquement ("L’Épouvantail", Palme d'or à Cannes).
Harry Moseby (Gene Hackman) est donc un détective tout ce qu'il y a de plus commun, socialement intégré et spécialisé dans les flagrants délits d'adultère. Parallèlement à une enquête qui lui est confiée par une star du petit écran vieillissante concernant la disparition de sa très jeune fille (Melanie Griffith) tombée dans les excès de la précocité sexuelle, il doit faire face à la crise que traverse son couple et à la liaison de sa femme, découverte de manière fortuite.
Le scénario d'Alan Sharp donne tous les éléments à Penn pour s’échapper du cadre trop formaté et trop restreint du policier traditionnel. Comme l'a fait Sidney Lumet juste avant lui dans le magnifique "The Offence", Penn montre l'imbrication fatale entre enquête et vie privée, mélange détonant qui finit immanquablement par altérer l'équilibre affectif du policier ou du détective. C'est donc par les moyens intrusifs de l'investigation policière (violation du domicile de l'amant de sa femme) qu'Harry tentera dans un premier temps de solutionner son problème de couple, avant de jeter les armes.
Parallèlement à ses tourments personnels qu'il a du mal à regarder en face, Harry poursuit une enquête assez routinière qui le mènera en Floride, où la rencontre avec la jeune fille enfin retrouvée dans une ambiance de frénésie sexuelle assez malsaine va le ramener, par analogie, au choc traumatique de l'abandon par le père (lui et la jeune Delly ont tous les deux été abandonnés dans leur enfance). La mort de la jeune fille, juste après avoir été ramenée à sa mère, va relancer l'enquête jusqu’à un dénouement violent comme souvent chez Arthur Penn.
Difficile à classer a priori, comme le souhaitait Penn désireux de brouiller les pistes, le film rejoint pourtant bien la tradition des films noirs américains qui veut que la trajectoire du détective au gré de ses pérégrinations prenne le pas sur une enquête souvent touffue ou accessoire ("Le Faucon maltais", "Le Grand Sommeil").
Gene Hackman, comme toujours juste, mélange assez rare de force brute et de raffinement, campe avec brio ce détective devenu coquille de noix sur l'océan tourmenté de sa vie intérieure. À côté de lui, les seconds rôles ont un peu de mal à exister tellement la caméra de Penn, comme celle de Sidney Lumet qui collait aux basques Sean Connery dans "The Offence", nous immerge dans le regard absent de Gene Hackman.
Arthur Penn a réalisé de grands films très reconnus comme "Le Gaucher", "Miracle en Alabama", "Bonnie and Clyde" ou "Little Big Man", jouant parfois un peu trop la surenchère provocatrice. Tout comme "Georgia", sans doute son chef-d'œuvre, "La Fugue" est à ranger dans ses films les plus aboutis pour lui avoir permis de trouver comme rarement l'équilibre entre toutes ses ambitions et exigences qui étaient grandes.
Photos du tournage de "La Fugue"
La critique de Bertrand Mathieux