You get tough. You get tender. You get close to each other.
Maybe you even get close to the truth.
titre original | "Chinatown" |
année de production | 1974 |
réalisation | Roman Polanski |
scénario | Robert Towne |
photographie | John A. Alonzo |
musique | Jerry Goldsmith |
production | Robert Evans |
interprétation | Jack Nicholson, Faye Dunaway, John Huston, Burt Young, Roman Polanski, Perry Lopez |
récompenses | • Oscar du meilleur scénario original |
• Prix Edgar Allan Poe pour Robert Towne | |
suite | "The Two Jakes", de et avec Jack Nicholson, 1990 |
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Hommage réussi au film noir de la grande époque : tous les ingrédients sont là, des autorités corrompues aux tueurs sadiques, du privé passé à tabac à la grande ville, Los Angeles. Et pas de happy end : le dernier mot reste à la corruption.
La critique de Romain
Jamais Hollywood (en particulier le Nouvel Hollywood) ne se sera remis du passage presque éclair du cinéaste franco-polonais sur son territoire où il aura su renouveler, par deux fois, avec son style sombre et pessimiste, des genres pourtant on ne peut plus américains. Après "Rosemary’s Baby", les films d’horreur ne sont plus abordés comme ils l’étaient autrefois. Il en est de même après "Chinatown", pour un genre déjà brillamment abordé avec "Klute" d'Alan J. Pakula et "Le Privé" de Robert Altman.
Avec "Chinatown", Polanski invente le film néo-noir. Bien qu’ayant l’air de respecter les classiques du genre, son film n’est ni un hommage, ni une œuvre volontairement rétro. Malgré quelques clins d’œil à un cinéma passé (le choix de John Huston dans le rôle de Noah Cross, bien sûr) et une fatalité propre au genre, on n’y retrouve pas l’ambiance des films de Wise, Siodmak, Lang, Preminger, De Toth, Wilder ou Tourneur, par exemple. Polanski a dû se battre contre la production qui souhaitait faire une œuvre nostalgique. Esthétiquement, le cinéaste fuit l’idée d’une imitation artificielle de techniques cinématographiques, comme celle de faire un film en noir et blanc qu’on a voulu lui imposer. Même le récit filandreux, né de l’imagination du scénariste Robert Towne, et qui n’est pas une adaptation de roman (comme l’étaient la majorité des films du genre), d’une noirceur très rarement atteinte dans le cinéma, ne ressemble pas à celui d’un film noir conventionnel ou d’une production RKO d’une heure dix. Mais alors, qu’est-ce que c’est, "Chinatown" ?
"Chinatown", c’est une enquête menée sous un soleil terrassant par le privé Jake J. Gittes, qui est aussi prenante que bien ficelée ; c’est une histoire d’amour tragique et inoubliable (comme la dernière réplique) ; c’est une musique de Goldsmith magnifique... mais "Chinatown", c’est surtout un film aux enjeux plus complexes, au sous-texte riche et bourré de détails. C’est un film qui demeure plus intéressant encore par son histoire « souterraine » qui cache le vrai sujet du film...
En 1974, le Nouvel Hollywood est alors au plus haut de son succès commercial. C’est l’ère du cinéaste-auteur, des Hopper, Scorsese, Coppola, Friedkin, De Palma, Lumet, Pollack ou encore Pakula, qui prennent le pouvoir et repoussent les limites contraignantes de l’ancien code de censure Hays. Sur le modèle du cinéma européen, le cinéma américain devient satirique, pointe les dysfonctionnements sociaux, politiques ou judiciaires, et aborde des thèmes tabous jusque là inabordés par le cinéma classique. C’est précisément ainsi que l’on pourrait définir "Chinatown". Même si le style de Polanski s’éloigne (au moins visuellement) du Nouvel Hollywood par son classicisme, son perfectionnisme technique et par son rejet de l’expérimentation ou d’appartenir à un mouvement quelconque, il va surprendre tout le monde avec ce récit désespéré et crépusculaire. "Chinatown" est une histoire violente, sombre et surtout contemporaine, déplacée dans la Californie des années 30.
Inceste, corruption, sécheresse réelle ou provoquée accablant le Los Angeles de 1937... Comme un western (genre auquel on pourrait davantage rapprocher le film), "Chinatown" évoque le mythe de la fondation de l’Amérique, que Polanski déconstruit avec son sens unique du morbide et de la subversion, dépeignant un Nouveau Monde bâti sur la pourriture humaine, dans une de ses régions les plus caractéristiques : la Californie.
Le scénariste Robert Towne s’est visiblement inspiré des vrais scandales californiens sur les problèmes d’approvisionnement en eau (à la période durant laquelle se déroule son histoire comme à l’époque de l’écriture). L’eau est un thème omniprésent : mer, marécages, lac ou réservoir ; il est même mentionné dans un dialogue par le personnage de Nicholson : « Echo Park, encore de l’eau... » et par la référence du nom de Noah (Noé) Cross, interprété par Huston. L’Amérique meurtrie par le krach boursier de 1929 démarque évidemment celle du post-Watergate. Le contexte économique et géographique de Los Angeles, alors que la ville connaît d’importants programmes de travaux publics liés à la politique rooseveltienne et au New Deal, avec sa police corrompue et son expansion économique aux mains de quelques nababs, rapproche logiquement "Chinatown" des conflits contemporains dénoncés par le Nouvel Hollywood. Dans sa quête de la vérité, vouée à plus ou moins d’échec dans ce monde pourri par la corruption, le détective privé interprété magistralement par Nicholson est une représentation du héros américain de l’époque, des héros comme Serpico ("Serpico", Lumet), Popeye ("French Connection", Friedkin), ou quelques années plus tard, Jack Terri ("Blow Out", De Palma).
Polanski ne montre en rien un passé séduisant. Il n’y a pas de nostalgie de sa part, et son obstination contre les effets de style que la production veut lui imposer a fini par payer. Sa façon de montrer les années 30 à travers l’objectif d'une caméra des années 70 deviendra même un style esthétique à part entière, maintes fois repris dès lors qu’un film se déroule à cette période...
Notons que l’on trouve dans "Chinatown" un des effets de style qu’affectionne Polanski, que l’on voit notamment dans "Répulsion", "Rosemary’s Baby", "Le Locataire", "Le Pianiste" ou "The Ghost Writer" : le cinéaste aime raconter ses histoires à la première personne, comme dans un roman policier de Chandler. Pour cela, il place sa caméra comme un témoin de la scène, toujours à hauteur de visage et derrière l’épaule de son protagoniste (dans quasiment tous les plans, rien n’est montré en dehors de sa présence).
L’histoire du tournage chaotique est presque aussi fascinante que le film lui-même. Un film hollywoodien au sujet aussi glauque, subversif, et casse-gueule avec sa fin « anti-commerciale », même dans une période comme celle du Nouvel Hollywood, est déjà une surprise en soi. Mais non seulement Polanski a dû se battre pour ses idées contre la production, mais le réalisateur a dû aussi le faire avec sa distribution (la tornade Faye Dunaway qui aurait, selon la légende, jeté un gobelet de sa pisse à la figure du réalisateur), et contre le scénariste Robert Towne, qui ne comprenait pas pourquoi le réalisateur tenait tant à retravailler sans cesse le script (à l’origine trop long et très confus), et de ne surtout pas le faire terminer par un happy end totalement hors-sujet. D’ailleurs, la brillante séquence finale a été écrite la veille du tournage par Polanski et Nicholson. Si l’on ajoute à cela le fait que Jerry Goldsmith a dû composer la bande originale en urgence, limité à dix jours de travail (à quelques jours près, sa formidable musique aujourd’hui indissociable du film n’y figurait pas), on peut dire que "Chinatown" est la définition du tour de force, un classique dont l’existence tient du miracle.
Pour conclure en paraphrasant un des admirateurs du film, Brian De Palma : jamais plus on ne verra dans la production hollywoodienne de films aussi noirs et désespérés que "Chinatown"...
Photos de tournage
Le générique de "Chinatown" conçu par Wayne Fitzgerald