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"Reflets dans un œil d'or"

Reflets dans un oeil d'or - affiche

titre original "Reflections in a Golden Eye"
année de production 1967
réalisation John Huston
scénario Chapman Mortimer et Gladys Hill, d'après le roman de Carson McCullers
photographie Aldo Tonti (et Oswald Morris, non crédité)
musique Toshirô Mayuzumi
interprétation Elizabeth Taylor, Marlon Brando, Brian Keith, Julie Harris, Robert Forster

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

« En premier lieu, je crois que je mettrais Reflets dans un œil d’or. C’est un film que j’aime dans sa totalité. » Ainsi répondait John Huston à Bertrand Tavernier et à Rui Noguiera quand, dans un entretien datant de 1970, ils lui demandaient quel était son film favori. Le grand réalisateur avait pourtant à l’époque déjà un vaste choix parmi sa foisonnante et très hétéroclite filmographie. Déjà plus de 25 films au compteur et non des moindres, dont "Le Faucon maltais" (1941), "Le Trésor de la Sierra Madre" (1948), "Quand la ville dort" (1950), "L’Odyssée de l’African Queen" (1951), "Moulin Rouge" (1952) ou encore "Les Désaxés" (1961).

Le roman éponyme de Carson McCullers paru en 1941 avait déjà fait l’objet de plusieurs projets d’adaptation inaboutis dont, en 1957, celui où Burt Lancaster, sous la direction de Carol Reed à partir d’un scénario de Tennessee Williams, devait interpréter le rôle qui sera tenu chez Huston par Marlon Brando. Initialement, Montgomery Clift était le premier choix de Huston pour le rôle du Major Weldon Penderton et Marlon Brando prévu pour celui du lieutenant-colonel Morris Langdon. Monty Clift décédant en 1966, Brando endosse son rôle et Brian Keith prend sa place. Elizabeth Taylor et Julie Harris sont les épouses respectives des deux officiers. Le scénario est confié à Gladys Hill, qui travaille régulièrement avec Huston, et au novelliste Chapman Mortimer.

Dans une garnison de Géorgie où sont en formation de futurs officiers, cohabitent en proximité deux couples dysfonctionnels dont chacun des membres, dans une sorte de torpeur ambiante, tente de trouver une issue à son mal-être. Le nœud de cette intrigue étouffante s’enroule autour de la personnalité complexe du Major Penderton, qui dans le milieu viril par essence qu’est l’armée, doit douloureusement gérer une homosexualité refoulée face à une femme dont la soif de vivre pleinement lui fait peur et qui, par ses provocations sexuelles vécues comme des humiliations, le ramène constamment à son impuissance.

L’enseignement de l’art de la guerre qu’il prodigue aux jeunes officiers où les références à des généraux illustres comme Napoléon, Rommel ou Patton sont nombreuses, ne font qu’enfoncer un peu plus le Major dans la solitude et la détestation de lui-même. Les poses extatiques devant la glace, mimant une cérémonie de décoration pour bravoure, ou encore les séances de musculation se terminant par un massage facial avec les crèmes de maquillage de sa femme, ne sont que des artefacts dérisoires. Se désincarnant progressivement, faute de repères auxquels se raccrocher, le Major perd pied comme le montre la torture qu’il inflige au cheval de sa femme qu’il n’arrive pas à monter correctement.

Le hasard plaçant face à son regard un jeune soldat (Robert Forster) qui, apparemment sans aucun tabou, se promène régulièrement nu en forêt, fait se sentir moins seul le Major, qui peut ainsi satisfaire son tempérament passif à travers le voyeurisme tout en se prenant à fantasmer une rencontre qui le fera enfin exister. La tension sourde entre les quatre personnages semble ne pouvoir trouver d’issue qu’à travers une mutation opportune permettant de mettre fin à cette relation toxique en quittant une caserne où le temps semble s’être figé. Mais le scénario, tout comme le roman, commence par la citation suivante : « Il y a un fort dans le Sud où, voici quelques années, un meurtre fut commis », ne laissant guère de doute sur le drame inéluctable qui sanctionnera une homosexualité impossible à assumer dans le contexte décrit par Carson McCullers.

Si Huston était si fier de son travail, on peut penser que sa collaboration très fructueuse avec Brando alors jugé comme hors de contrôle y est pour beaucoup. En effet, les deux hommes ont réussi à rendre toute la complexité de la situation, mais aussi la souffrance d’un homme qui, sans qu’on ne sache rien de son parcours antérieur, se trouve placé dans une situation inextricable, comme écartelé entre l’image qu’il veut ou doit donner face à l’institution qui l’emploie et sa nature profonde. Elizabeth Taylor, Brian Keith et Julie Harris sont bien sûr des premiers violons remarquables face à un soliste et à un chef d’orchestre en parfaite osmose. C’est peut-être cette miraculeuse alchimie lui permettant de dévoiler une sensibilité dissimulée derrière tous les attributs d’une virilité souvent exposés notamment dans sa relation avec Humphrey Bogart qui a tant plu à John Huston, dont le film est en outre magnifiquement photographié par Oswald Morris, qui avait déjà travaillé à quatre reprises avec le réalisateur.

Pour être en cohérence avec le titre du film, Huston et Morris avaient fait subir un traitement spécial à la pellicule pour obtenir une coloration mordorée devant accentuer le contraste entre les différentes atmosphères qui nimbent le film. Des séances test n’ont pas convaincu les spectateurs et la production a choisi de s’en tenir à la version traditionnelle. La coloration voulue initialement par Huston est désormais disponible en support DVD.

Pour conclure sur Marlon Brando, ceux qui douteraient de son statut de plus grand acteur de tous les temps qui lui est encore parfois attribué peuvent se faire une idée en le regardant à l’œuvre dans "Reflets dans un œil d’or".

Reflets dans un oeil d'or - générique

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