titre original | "Paper Moon" |
année de production | 1973 |
réalisation | Peter Bogdanovich |
scénario | Alvin Sargent |
photographie | László Kovács |
interprétation | Ryan O'Neal, Tatum O'Neal |
récompense | Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Tatum O'Neal |
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Un charme fou dans ce road movie rétro que devait initialement tourner John Huston, et qui fut un triomphe financier pour la Paramount. Le couple O'Neal père et fille crève l'écran, et Tatum récolta l'Oscar du meilleur second rôle. Quant à Bogdanovich, sa nostalgie s'exprime, comme dans "La Dernière Séance", dans une photo noir et blanc d'un grand raffinement.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Peter Bogdanovich est aujourd’hui un cinéaste reconnu qui, paradoxalement, ne tourne plus guère. Comment en est-il arrivé là ? De la même génération que les cinéastes du Nouvel Hollywood qu’il fréquente, issu du monde de la critique et acteur à ses heures perdues, Bogdanovich, au détour des années 70, est la coqueluche du public américain grâce à trois films qui ressuscitent les grandes heures des studios et remplis de références aux réalisateurs qu’il admire (Ford, Hawks, Welles).
"La Dernière Séance", "What’s Up, Doc?" et "La Barbe à papa" regardent de façon révérencieuse vers le passé d'Hollywood (la screwball comedy, le film sur la crise de 1929), alors que les contemporains de Bogdanovich comme Scorsese, Spielberg, Ashby, Rafelson ou Coppola proposent à l’Amérique de réfléchir sur les mutations qui la bouleversent. Il permet donc aux nostalgiques, qui sont nombreux, de ne pas s’arracher complètement à leurs souvenirs. Ce pont tendu entre deux cinémas lui donne immédiatement une reconnaissance publique et critique.
Ne sachant pas assez tôt sortir de cette veine nostalgique, il voit son étoile décliner très brutalement alors que ses collègues moins précoces en terme de succès vont finir par imprégner durablement les goûts du public avec des films chocs comme "Le Parrain", "Les Dents de la mer" ou "Taxi Driver". Ses trois films suivant "La Barbe à papa" seront des échecs cuisants. Ce qui paraissait un trait de génie, l’hommage appuyé aux grands maîtres, va devenir le tombeau de la carrière de Bogdanovich, à qui l’on reproche désormais de n’être qu’un plagiaire, incapable d’avoir sa propre signature. La critique française à la remorque de la très redoutée Pauline Kael (critique du New Yorker) n’aura pas de mots assez durs, de Michel Ciment à Bertrand Tavernier et Bernard Coursodon en passant par Jean Domarchi, pour rejeter le cinéma de Bogdanovich, notamment ses trois succès initiaux, comme si un crime de lèse-majesté avait été commis par le réalisateur en se revendiquant de ses prestigieux aînés dont ces mêmes critiques s’étaient attribués la réhabilitation en Europe après des combats le plus souvent homériques avec les distributeurs. Si les Wilder, Ford ou Lang ne parvenaient plus à tourner, pourquoi un pâle imitateur issu du monde de la critique, jugé prétentieux de surcroît, récolterait les budgets et les récompenses dans les festivals ?
Bogdanovich ne s’est jamais remis de ce traitement, faisant par la suite davantage parler de lui dans la presse à scandale pour ses relations successives avec les sœurs Stratten (l’aînée, Dorothy, playmate de l’année en 1980, fut assassinée par son amant jaloux, sa cadette Louise épousa le réalisateur de vingt ans son aîné en 1989).
Qu’en est-il réellement de "La Barbe à papa" ? Il est vrai que ce road movie sur fond de crise économique, narrant de façon douce-amère l’union de fortune entre un adulte et une enfant débrouillarde, emboîte le pas au "Kid" de Chaplin (1921) et aux "Raisins de la colère" de John Ford (1940), dont il cherche quelque part à faire la fusion. Mais le procès en sorcellerie qui lui est fait semble bien sévère à l’heure où Hollywood ne mise plus que sur les remakes, séquelles ou préquelles, faute d’inspiration et de goût du risque (Scorsese lui-même n'a-t-il pas depuis réalisé deux remakes ?).
Inspiré d’un roman de Joe David Brown sorti deux ans plus tôt, le film possède pourtant sa propre énergie, et Bogdanovich y montre un réel talent pour diriger les acteurs, notamment une Tatum O’Neal dont il tire le meilleur, parvenant à lui faire irradier l’écran de sa frimousse qui traduit immédiatement et de manière irrésistible tous les sentiments éprouvés lors de cette virée initiatique où la fillette et son père supposé vont apprendre à se connaître et à se reconnaître à travers le chapardage, remède de fortune pour survivre dans une Amérique de la déprime économique et de la prohibition. La performance de la petite Tatum, récompensée aux Oscars pour un second rôle (sic!), éclipse un peu celle de son papa Ryan, qui paraît un peu à la remorque devant tant de talent. Le piège n'était pas loin pour Bogdanovich de réduire son film aux facéties et mimiques de sa petite héroïne.
Le travail sur l'esthétique du film auquel Bogdanovich était très attaché, n'hésitant pas à prendre des conseils auprès de son ami et grand maître du noir et blanc Orson Welles, est remarquable de précision grâce à l'apport du chef-opérateur hongrois László Kovács, qui avait travaillé juste auparavant sur "Easy Rider" et "Cinq pièces faciles".
Au final, on peut penser que la critique a été très dure avec "La Barbe à papa", qui se tient encore très bien 40 ans après sa sortie, suscitant toujours la même émotion et les mêmes sourires face à la petite Tatum qui depuis a grandi, connaissant le parcours personnel souvent difficile et douloureux des enfants stars.