titre original | "Craig's Wife" |
année de production | 1936 |
réalisation | Dorothy Arzner |
scénario | Mary C. McCall Jr., d'après la pièce "Craig's Wife" de George Kelly (1925) |
photographie | Lucien Ballard |
musique | R.H. Bassett, Emil Gerstenberger et Milan Roder (non crédités) |
production | Harry Cohn (non crédité) |
interprétation | Rosalind Russell, John Boles, Billie Burke, Jane Darwell, Dorothy Wilson, Alma Kruger, Thomas Mitchell, Raymond Walburn, Elisabeth Risdon, Robert Allen, Nydia Westman, Kathleen Burke |
Critique de Bertrand Tavernier du 20 décembre 2016
Pour Edward Chodorov qui produisit le film et déclare avoir travaillé au scénario, c’est la dernière réussite de Dorothy Arzner et sans doute son chef-d’œuvre. L’Histoire semble lui donner raison. Inspiré d’une pièce de George Kelly, l’oncle de Grace, qui reçut le prix Pulitzer, le scénario est crédité à Mary McCall qui accomplit (sous la supervision ou avec l’aide de Chodorov ?) un travail remarquable, supprimant les digressions de la pièce, ses longueurs, réduisant les trois actes à 71 minutes. Bien sûr, on peut penser que vu le laps de temps (identique dans la pièce), l’évolution du mari et sa soudaine lucidité sont un peu précipitées, mais John Boles et la mise en scène parviennent à faire accepter la convention. Le couple dysfonctionnel qu’il forme avec Rosalind Russell (le choix de l’actrice est revendiqué par Chodorov mais sa direction, rigoureuse, tendue, semble être le fait de la réalisatrice), femme parfaite, ménagère perfectionniste qui aime davantage sa maison que son mari ou le monde extérieur, est l’un des plus forts, des plus originaux de toute l’œuvre d’Arzner qui en compte pourtant pas mal. Elle est froide, calculatrice, obsédée plus par les apparences, par ce que vont dire les gens que par les ennuis judiciaires qui peuvent tomber sur son mari. Sa recherche de l’indépendance à tout prix, sa volonté d’autonomie la conduisent à nier le monde extérieur, à ne privilégier que sa maison : elle se montre d’une incroyable dureté envers une de ses plus fidèles domestiques (Jane Darwell), coupable d’avoir invité quelqu’un à la cuisine ; elle méprise sa voisine qui lui amène sans cesse des roses (délicieuse Billie Burke), ment de manière éhontée à sa jeune nièce à qui elle déclare que le « mariage est le seul moyen d’acquérir sa liberté ». Et peu à peu va se retrouver seule, abandonnée par tous. Rosalind Russell sait combiner la froideur et la fausse gentillesse qu’elle exhibe pour la galerie et qui sont les deux faces de la même pièce. Elle arrache son interprétation sans jamais avoir l’air de juger son personnage, de le commenter et l’on sent qu’elle est non pas un monstre mais le produit parfait d’une société. Arzner transforme sa maison avec l’aide d’un de ses amis, le décorateur d’intérieur William Haines qui remplaça Stephen Goosson qu’elle avait renvoyé, en une sorte de mausolée, un tombeau pour sa propre gloire qui finit par devenir suffoquant. Elle joue sur les verticales pour augmenter ce sentiment d’oppression et le moment où Boles fracasse le vase qu’elle essuie et repositionne constamment, résonne comme un sacrilège libérateur. Il l’avoue avec une certaine jubilation, conquérant ainsi sa liberté.
De la pièce à l'écran
"L'Obsession de Madame Craig" fait partie de ces adaptations cinématographiques de pièces de théâtre ayant reçu le prestigieux prix Pulitzer de l'œuvre théâtrale, parmi lesquelles on peut citer "Strange Interlude" (1932, d'après Eugene O'Neill), "Vous ne l'emporterez pas avec vous" (1938, d'après George S. Kaufman et Moss Hart), "L'Enjeu" (1948, d'après Howard Lindsay et Russel Crouse), "Le Bar aux illusions" (1948, d'après William Saroyan), "Harvey" (1950, d'après Mary Chase), "Un tramway nommé Désir" (1951, d'après Tennessee Williams), "La Chatte sur un toit brûlant" (1958, d'après Tennessee Williams également), "Le Journal d'Anne Frank" (1959, d'après Frances Goodrich et Albert Hackett), "Long voyage vers la nuit" (1962, d'après Eugene O'Neill), "De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" (1972, d'après Paul Zindel), "That Championship Season" (1982, d'après Jason Miller), "Crimes du cœur" (1986, d'après Beth Henley), "Miss Daisy et son chauffeur" (1989, d'après Alfred Uhry) et "Glengarry" (1992, d'après David Mamet).
"L'Obsession de Madame Craig" constitue la deuxième adaptation de la pièce de George Kelly, après "Dominatrice" de William C. de Mille (1928). Suivra une troisième version : "La Perfide" de Vincent Sherman (1950).
