Le premier film du réalisateur de "Midsommar"
titre original | "Hereditary" |
année de production | 2018 |
réalisation | Ari Aster |
scénario | Ari Aster |
photographie | Pawel Pogorzelski |
musique | Colin Stetson |
interprétation | Toni Collette, Gabriel Byrne, Milly Shapiro, Alex Wolff |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
Premier film confondant de maîtrise.
Si la dernière partie bascule avec brio dans le fantastique, il reste impossible d'oublier la première heure. Sidérante description de l'effondrement de la cellule familiale à travers les traumas d'une mère de famille (Toni Collette, époustouflante).
On pense, bien sûr, à Polanski, mais le retour (dans une période qui la rejette) à la science des plans et du découpage fait d'"Hérédité" une plongée terrifiante dans les méandres du malin.
Partition cauchemardesque de Colin Stetson.
Traumatisant.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
"Hérédité" du tout jeune réalisateur Ari Aster a été produit par la société A24 fondée en 2012 par trois anciens managers de compagnies plus importantes désirant prendre leur indépendance. Spécialisée dans les films à petits et moyens budgets comme dans le téléfilm, A24 met le pied à l'étrier à de jeunes réalisateurs prometteurs en espérant qu'ils l'aideront à décrocher la timbale. Ce modèle qui tente de se faire un chemin à l'ombre des blockbusters en piochant dans tous les genres s'avère viable et se trouve même accompagné d'une certaine reconnaissance critique, notamment dans le domaine du film d'angoisse, où ses réalisateurs semblent apporter un nouveau souffle à un genre devenu un peu ronronnant à force de recycler les mêmes recettes à coups de séquelles, préquelles ou reboots. Ainsi, "The Witch" de Robert Eggers, "The Lobster" de Yorgos Lanthimos ou "It Comes at Night" de Trey Edward Shults ont-ils été salués dans les festivals spécialisés. Mais A24 n'est pas la seule compagnie à exploiter le filon, et la concurrence devient rude avec Blumhouse ("Insidious", "Ouija", "Get Out"), Platinium Dunes ("Sans un bruit"), ou même New Line Cinema ("Dans le noir"), société plus mature qui s'est immiscée dans la bataille.
Les premiers pas dans le long métrage d'Ari Aster, tout juste âgé de 31 ans, s'inscrivent résolument dans cette démarche qui s'approprie certes toute l'histoire du genre depuis les films de la Universal des années 1930 et même du muet ("The Witch"), mais entend aussi affirmer sa singularité en mettant ces divers emprunts (narratifs, visuels) au service d'une démarche "auteurisante". Les films cités plus haut n'appellent pas systématiquement une suite pouvant amorcer une franchise, comme c'est sans doute trop souvent le cas, mais visent plutôt à se suffire à eux-mêmes. Le défi est certes plus motivant et ambitieux, mais aussi plus difficile à relever.
Ari Aster, qui endosse le costume de scénariste, plonge son intrigue dans la déliquescence programmée d'une famille dysfonctionnelle suite à la mort de la grand-mère qui ne semble pas laisser un souvenir impérissable comme le montre l'oraison prononcée par sa fille Annie (Toni Collette) à l'entame du film. La mise en abyme évoquée à partir des reproductions miniatures faites par Annie de son quotidien indique très clairement un enfermement mental qui sera tout l'enjeu du film. Très consciente de son lourd passif héréditaire et mariée à son psychiatre (Gabriel Byrne), Annie a en toute logique déjà accompli une bonne partie du chemin qui aurait dû la mener vers l'équilibre.
Ari Aster tord artificiellement ce postulat de départ pour concentrer son attention sur les deux enfants du couple. Tout d'abord, la petite Charlie (Milly Shapiro) au physique inquiétant nous est présentée comme le réceptacle potentiel évident de toute la névrose familiale, son grand frère Peter (Alex Wolff) étant un adolescent de son époque naviguant entre éveil sexuel et expériences lysergiques. Par strates narratives et fausses pistes successives assez plaisantes dans un premier temps, Aster finit par tomber à pieds joints dans ce qu'il voulait certainement éviter : le film référentiel. Ne semblant plus très bien savoir où le mène cet enchevêtrement plutôt habilement exposé, le jeune réalisateur étire excessivement son propos (le film dure 2h06) pour livrer une conclusion qui s'avère être un mélange assez indigeste entre "L'Exorciste" et "Rosemary's Baby".
Tout n'est certes pas à jeter dans "Hérédité", mais Ari Aster aurait sans doute dû se poser la question de savoir s'il était vraiment utile de convoquer tout un fatras satanique pour expliquer une psychose familiale qui, telle qu'il l'avait imaginée, pouvait certainement se suffire à elle-même en refusant le recours à une certaine facilité passée la moitié du film. Il a ainsi gâché une bonne partie du potentiel de son casting avec un Gabriel Byrne sous-utilisé, une Toni Collette en surrégime et une Milly Shapiro trop tôt disparue après avoir fortement intrigué.
La chronique de Gilles Penso