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"Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia"

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia - affiche

titre original "Bring Me the Head of Alfredo Garcia"
année de production 1974
réalisation Sam Peckinpah
scénario Sam Peckinpah et Gordon T. Dawson, d'après une histoire de Sam Peckinpah et Frank Kowalski
musique Jerry Fielding
interprétation Warren Oates, Isela Vega, Kris Kristofferson, Emilio Fernández, Jorge Russek, Gig Young, Robert Webber

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Co-écrit pendant le tournage des "Chiens de paille" avec son assistant-réalisateur d'"Un nommé Cable Hogue" qui avait eu l'idée de départ, "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia" ne vit finalement le jour que près de 5 ans après avec un scénario définitif co-signé avec le réalisateur de la seconde équipe de "Guet-apens" et "Pat Garrett et Billy le Kid". Ce laps de temps a dû modifier certaines orientations du projet originel. Plus proche de l'univers de Jim Thompson que ne l'était "Guet-apens", le film est en effet une lente descente dans les abysses d'un monde crasseux et suintant, où règnent la corruption et la violence, et dans les tréfonds du cerveau d'un individu médiocre qui prend peu à peu plaisir à tuer, descente qui culmine en une dernière image totalement nihiliste.

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

Les déconvenues survenues à l'occasion du tournage de "Pat Garrett et Billy le Kid" ont définitivement fâché Sam Peckinpah avec Hollywood. Le film a été gravement mutilé, remonté pour plus de compréhension en dépit des souhaits de l'auteur et enfin sabordé lors de sa distribution par la MGM. Sur neuf films réalisés en treize ans, les démêlés de "Bloody Sam" avec les producteurs se sont accumulés, et ce, dès "Major Dundee" en 1965, que seul le soutien inconditionnel de Charlton Heston avait empêché de capoter. Peckinpah, qui est allé avec "Pat Garrett et Billy le Kid" au bout de la déstructuration des codes du western, ne reviendra plus au genre.

Durant cette période tout à la fois créative et chaotique, l'intempérance du réalisateur s'est considérablement aggravée. C'est donc un homme passablement usé qui aborde l'année 1973. Toujours soucieux néanmoins de poursuivre son œuvre, il retravaille une idée de Frank Kowalski qui lui avait été proposée quatre ans plus tôt pendant le tournage d'"Un nommé Cable Hogue". Une fois le travail achevé en compagnie de Gordon Dawson, son fidèle réalisateur de seconde équipe, il le propose à Martin Baum qui obtient le financement auprès de la United Artists.

Peckinpah décide d'aller tourner au Mexique pour se reposer d'une Amérique toujours en guerre au Vietnam et qui vient de voter pour Richard Nixon qu'il exècre. Dans un pays qu'il aime (sa femme Begonia Palacios est Mexicaine), entouré de son équipe technique habituelle et de quelques-uns de ses acteurs favoris (Warren Oates, Kris Kristofferson, Emilio Fernandez, Jorge Russek) qui se mêlent au casting mexicain, Peckinpah vivra un de ses tournages les plus sereins. Ce qui lui fera dire : « J'ai fait "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia" comme je le voulais. Bon ou mauvais, apprécié ou pas, c'est mon film. » Réflexion lourde de sens quand on sait le prix que le réalisateur accordait à sa liberté de création.

Pour le rôle principal, Peckinpah pense tout d'abord à Peter Falk, un de ses amis avec lequel il souhaite travailler depuis longtemps, mais celui-ci est pris par le tournage de la série "Columbo". C'est ensuite James Coburn, fidèle compagnon de route, qui est envisagé. Au final, c'est Warren Oates, qui avait déjà figuré dans trois films de Peckinpah, qui décroche le rôle. Pour le personnage féminin, c'est Isela Vega, star montante du cinéma mexicain, compagne de Jorge Russek, qui tente de franchir une marche en jouant sous la direction d'un réalisateur américain reconnu.

Cet intermède salvateur n'amadoue pas pour autant Peckinpah, qui utilise le scénario comme une véritable métaphore de sa propre histoire avec Hollywood. Bennie (Warren Oates) est un de ses perdants qui, comme souvent chez Peckinpah, finissent pas se rebeller et donner par un geste sacrificiel un sens à leur vie. Alors qu'il est au piano dans un bar minable, occupé à distraire le touriste, il apprend, après avoir discuté avec deux gringos mal embouchés, que son rival amoureux, Alfredo Garcia, a sa tête mise à prix. Ayant découvert quelques temps auparavant par sa maîtresse Ileta (Isela Vega) que ledit Alfredo est en réalité mort dans un accident de la route après avoir passé trois jours avec elle, l'idée germe très vite dans sa tête que la prime sera facilement gagnée une fois la sépulture retrouvée.

Se met alors en place un drôle de road movie scindé en deux parties bien distinctes. Entamé dans l'allégresse avec la perspective d'un gain facile offert par la mort bienvenue de son rival et prometteur d'un avenir plus rose pour Bennie et sa compagne, il se poursuit dans la fureur quand les choses vont déraper crescendo au gré de ses rencontres avec un duo de motards sadiques (une participation amicale de Kris Kristofferson), les membres de la famille d'Alfredo Garcia ou encore les hommes de main d'El Jefe, le riche propriétaire terrien qui a exigé la tête de celui qui a engrossé sa fille. D'abord simplement vénal, Bennie va prendre brutalement conscience de sa misérable condition et des bassesses que les gens de pouvoir l'ont contraint d'accepter depuis toujours. Après une scène quasi dantesque sur la tombe profanée d'Alfredo Garcia, ce n'est plus le même homme qui va agir et décider de remonter jusqu'à la source du contrat pour réclamer violemment l'addition.

Par translation, ce parcours ressemble beaucoup à celui de Peckinpah, empêtré dans les méandres de la production hollywoodienne faite de chausse-trappes et de coups fourrés qui le détournent de son art et l'amènent presque exsangue jusqu'à ce tournage en dehors du pays qui l'a vu naître et qui croit-il, le renie. Très en colère, il en profite pour régler son compte à toutes les institutions, notamment religieuses, à coup de comportements sacrilèges de ses personnages. Mais c'est l'emprise dominatrice de l'oncle Sam sur son cousin mexicain qui est le plus souvent dénoncée en filigrane. L'attitude des deux tueurs à gages interprétés par Gig Young et Robert Webber dans le bar où travaille Bennie en étant l'exemple le plus explicite. Débutant par l'image élégiaque et innocente d'une jeune fille au bord d'un étang selon un procédé souvent utilisé par le réalisateur, le film qui décrit une boucle narrative comme dans "Pat Garrett et Billy le Kid" (selon le montage initial voulu par Peckinpah), se termine par le canon d'un pistolet braqué sur le spectateur, signe d'une colère jamais retombée chez celui que ses amis surnommaient Bloody Sam.

Fortement réhabilité depuis sa sortie qui fut un échec, "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia" est aujourd'hui considéré par beaucoup comme son travail le plus accompli devant des films comme "Les Chiens de paille" ou "La Horde sauvage" (1969) plus réputés. Difficile de se prononcer tant les films de Peckinpah charrient tous la même désespérance devant l'horizon de plus en plus étroit que le progrès laisse entrevoir à l'homme, victime de sa vitalité morbide. Son film le plus personnel à coup sûr, mais aussi le plus désespéré, qui offre à Warren Oates sans doute agité par les mêmes démons que Peckinpah - il mourra deux ans avant lui et au même âge - le rôle de sa vie.

Présentation de "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia" par Jean-Baptiste Thoret
au Centre des arts d'Enghien-les-Bains dans le cadre du cycle "Ciné Seventies" en 2012-2013

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia - photo

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia - Time magazine

Affiche turque de "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia"

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia - générique

Couverture de l'ouvrage collectif "Sam Peckinpah"
éditions Capricci, 2015