titre original | "Slaughterhouse-Five" |
année de production | 1972 |
réalisation | George Roy Hill |
scénario | Stephen Geller, d'après le roman "Abattoir 5 ou la croisade des enfants" de Kurt Vonnegut Jr. |
montage | Dede Allen |
décors | Henry Bumstead |
interprétation | Michael Sacks, Valerie Perrine |
récompense | Prix du jury au festival international du film de Cannes 1972 |
Le temps de vivre, le temps de mourir
critique de Jean-Baptiste Thoret sur son ancien blog jbthoret.blogs.nouvelobs.com
De George Roy Hill, on se souvient plutôt de "L’Arnaque" et de "Butch Cassidy et le Kid", doublé à succès monté autour du tandem Redford-Newman au début des années 1970. Pourtant, l’histoire du cinéma finira sans doute par rendre justice à "Abattoir 5", film atypique et ultra personnel que cet artisan lettré tourna en 1972 entre ces deux mastodontes.
Adapté d’un roman éponyme écrit par Kurt Vonnegut en 1969, "Abattoir 5" épouse la pathologie mentale de son héros, Billy Pilgrim (Michael Sachs, acteur discret, sorte de John Doe blondinet dont ce sera l’unique fait d’armes), exposée dès la séquence d’ouverture, soit une capacité à voyager dans le temps à la faveur de sautes aussi brutales qu’imprévisibles. Pilgrim se déplace ainsi entre trois époques, la seconde guerre mondiale dans la peau d’un soldat yankee fait prisonnier par les Nazis, les années soixante au cours desquelles ce rescapé, toujours un peu lunaire, s’est construit une famille aussi superficielle et stérile que celle qui étouffait Dustin Hoffman dans "Le Lauréat", et un futur indéterminé qui ressemble à une bulle cotonneuse suspendue quelque part dans l’espace. Là, sur cette planète nommée Tralfamadore, Billy et une starlette topless de série B italienne (Valerie Perrine) se retrouvent soumis à l’œil d’une population extra-humaine invisible, cobayes choyés ou derniers représentants d’une philosophie très sixties que le film énonce en son milieu.
Pour Vonnegut et Hill, qui semble y croire dur comme fer, le seul moyen de résister aux horreurs de la vie, qu’elle soit collective (Dresde en février 1945) ou intime (la famille, lieu anxiogène par excellence pour cet écrivain phare de la contre-culture), consiste à ne prélever d’elle que des moments présents. Mélange d’autisme radical et d’optimisme béat, Pilgrim n’appartient au fond à aucune époque, se tient toujours en marge du monde et de l’histoire, tel un candide passif entièrement tourné vers l’accomplissement d’une utopie personnelle qui évoque les serres végétales de "Silent Running", tourné par Douglas Trumbull la même année.
Situé au carrefour du pamphlet anti-Vietnam (Vonnegut survécu au bombardement de Dresde et George Roy Hill fut pilote pendant la guerre de Corée), d’un cinéma d’anticipation alors très en vogue et de la satire féroce d’une poursuite du bonheur qui ressemble à une vie témoin et aseptisée, "Abattoir 5" déroute autant par son désir de ne jamais se fixer sur un registre précis, que par sa construction, audacieuse (mais un brin systématique). De ce point de vue, l’originalité du film, situé au mitan des déconstructions spatio-temporelles du "Point de non-retour" ou de "L’Arrangement" de Kazan et de celles de "The Fountain" de Darren Aronofsky, doit, sinon l’essentiel, en tous cas beaucoup à Henry Bumstead, son production designer, et surtout à Dede Allen, monteuse attitrée des meilleurs films d’Arthur Penn ("Bonnie and Clyde", "Alice’s Restaurant", "La Fugue") que l’on retrouve ici en magicienne des ellipses, des transitions et autres rimes visuelles qui structurent le récit et lui confèrent tant de charme.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Témoin du bombardement de Dresde par ses congénères américains, l'écrivain Kurt Vonnegut Jr. ne s'est jamais complètement remis de cette traumatisante expérience. 130 000 morts et des milliers d'œuvres d'art inestimables détruites... sans nécessité absolue ; il y a de quoi vous faire douter de votre pays, de son way of life et de vous-même...
Dans son roman "Abattoir 5", Vonnegut a relaté ce crime contre l'humanité et son propre mal de vivre consécutif à son expérience. Mais il l'a fait de bien originale manière, sans aucun équivalent dans le monde de la littérature. Cocktail étrange de réalisme et d'onirisme, de tragique et de drolatique, dans lequel l'écrivain se représente en la personne de Billy Pilgrim, c'est un livre délirant et inspiré qui n'a rien d'évident à adapter au cinéma. C'est pourtant le prodige qu'a accompli George Roy Hill. Dans ce merveilleux film, on retrouve intactes la magie, la révolte et la profondeur du romancier.
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
Le film le plus étrange de l'année avec "Le paradis du Mexicain". Une obscure allégorie où le héros voyage dans son passé, son avenir et ses fantasmes. Des séquences hallucinantes sur la seconde guerre mondiale. Adaptation ambitieuse et inégale du roman de Kurt Vonnegut Jr.