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"The Addiction"

« What's gonna happen to me? – Read the books. Sartre, Beckett, Burroughs.

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The Addiction - affiche

titre original "The Addiction"
année de production 1995
réalisation Abel Ferrara
scénario Nicholas St. John
photographie Ken Kelsch
musique Joe Delia
interprétation Lili Taylor, Christopher Walken, Annabella Sciorra

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

En 1995, Abel Ferrara est au sommet de sa force créative et devenu, depuis une dizaine d’années, l’un des maîtres reconnus du film indépendant. À la suite de "Driller Killer", réalisé en 1979, et tout au long de neuf films, il a collaboré avec son camarade de l’époque du lycée, Nicolas St. John, avec il a écrit tous ses scénarios, hormis celui de "Bad Lieutenant" auquel St. John, encore plus fervent catholique que Ferrara, a refusé de participer en raison des trop nombreuses images blasphématoires qu’il renfermait.

Après "Nos funérailles", la collaboration entre les deux hommes prendra fin, et il faut bien reconnaître que la carrière du réalisateur natif du Bronx est progressivement, mais inexorablement devenue un peu moins intéressante, Ferrara semblant ne plus savoir vers quelle direction se tourner pour choquer encore. Avec le recul, on peut penser que Nicolas St. John était celui qui permettait à son ami de ne pas laisser son imagination débordante l’embarquer dans des voies sans issue.

"The Addiction", leur avant-dernière collaboration, démarre alors que Ferrara est en pleine dépendance aux drogues dures. Le titre n’est donc pas choisi innocemment par les deux hommes, qui s’appuieront sur le mythe du vampire pour évoquer de manière très visuelle l’enfer de l’addiction. Kathleen (Lili Taylor), jeune étudiante en philosophie, sort tourmentée d’un diaporama sur le massacre de May Lai (Vietnam du Sud, 16 mars 1968). Une exposition des faits dans toute leur cruauté, qui fait s’interroger la jeune femme sur la distance entre les théories parfois artificielles des grands philosophes et la réalité concrète de la nature humaine. Happée par Casanova (Annabella Sciorra), une femme vampire qui l’entraîne dans une cage d’escalier pour lui faire partager sa malédiction par le moyen le plus connu de son espèce, Kathleen semble vouloir être une victime consentante ou à tout le moins passive.

Commence alors l’expérience de l’addiction qu’Abel Ferrara connaît bien. Il reconnaîtra un peu plus tard que son film n’était pas autre chose qu’une métaphore sur la dépendance, la dépersonnalisation qu’elle induisait et les divers sentiments de culpabilité qu’elle suscitait. D’ailleurs, après avoir attaqué sa première victime, Kathleen aura comme premier réflexe de s’injecter son sang par intraveineuse. Indice sans ambiguïté sur le propos de Ferrara. Le noir et blanc permet à son chef-opérateur Ken Kelsch de livrer certains plans rappelant que le mythe du vampire au cinéma a pris ses racines dans l’expressionisme allemand, et plus particulièrement chez Murnau.

Kathleen expérimentant sur sa propre personne une forme d’accomplissement par la singularité qui est désormais la sienne, prend vite conscience de l’enfermement mental et physique dans lequel elle est tombée, la condamnant à perpétrer sans fin ce qui juste auparavant l’horrifiait dans les massacres. L’apparition de Peina, vampire abstinent, interprété par un Christopher Walken déployant une onctuosité hypnotique et inquiétante, va lui montrer la voie à suivre tout en lui en indiquant les limites, se servant de sa congénère pour assouvir une addiction ne pouvant en réalité jamais s’éteindre. Cet épisode fait écho à une déclaration du cinéaste lors de la sortie en 2020 de "Tommaso", son film relatant son parcours suite à sa cure de désintoxication, qui affirmait que « l’addiction avait toujours été au centre de ses films » et qu’il serait « addict pour la vie ».

Mais aussi, et comme presque toujours chez Ferrara, la rédemption par la foi reste l'issue la plus salvatrice. Kathleen, arrivée au bout de sa descente aux enfers, l’expérimentera à son tour grâce à la confession et aux derniers sacrements. Ressuscitée, elle déposera une fleur sur la sépulture de Kahleen Conklin. Les dates figurant sur celle-ci (1967-1994) sont, selon Enrique Seknadje (critique de cinéma), un hommage rendu par Ferrara à Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana mort un an plus tôt. On peut sans aucun doute y souscrire.

Le film, de nature expérimentale et d’une rare violence visuelle, décrit l’expérience aux frontières de son être et de la vie que constitue l’entrée dans ce cercle infernal qu’il faut sans doute avoir parcouru soi-même et en être revenu pour pouvoir en parler et peut-être même en saisir la transposition artistique. Abel Ferrara, en artiste exigeant, a choisi une voie originale forte, mais aussi assez difficile d’accès par sa radicalité.

Abel Ferrara et Christopher Walken

"The Addiction" est la deuxième collaboration entre le réalisateur et l'acteur, qui avait déjà joué dans "The King of New York" et qui sera de nouveau dirigé par Ferrara dans "Nos funérailles" et "New Rose Hotel". Christopher Walken fait ainsi partie des acteurs fétiches du cinéaste au même titre que Harvey Keitel (2 films) et surtout Willem Dafoe (5 films).

Blu-ray Arrow Video de "The Addiction" © Peter Strain

The Addiction - générique