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"Point limite"

Version sérieuse de "Docteur Folamour"

Point limite - affiche

titre original "Fail Safe"
année de production 1964
réalisation Sidney Lumet
scénario Walter Bernstein, d'après le roman de Eugene Burdick et Harvey Wheeler
photographie Gerald Hirschfeld
interprétation Henry Fonda, Dan O'Herlihy, Walter Matthau, Frank Overton, Edward Binns, Fritz Weaver, Larry Hagman

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Avant ce brillant redémarrage, la carrière de Lumet semblait s'enliser péniblement. D'adaptation théâtrale calamiteuse en adaptation théâtrale consternante, Lumet nous fit croire qu'il était l'homme d'un seul film : "Douze hommes en colère". Comprenant son erreur, il se décida alors à faire du cinéma au lieu de mettre en boîte des pièces de Miller, O'Neill ou Williams... "Point limite", le premier aboutissement de ce changement de cap, est un film en tout point passionnant. Traitant, comme son glorieux prédécesseur "Docteur Folamour", du péril nucléaire, c'est un film encore plus terrifiant que l'œuvre célèbre de Kubrick. En jouant la carte du réalisme le plus absolu, en donnant à son film la forme et la technique d'un reportage télé, Lumet ne fait que renforcer l'impression d'authenticité qui se dégage de l'ensemble. Et qui dit authenticité dit tension permanente, horreur absolue chez un spectateur qui se retrouve dans la position de tous les protagonistes de ce terrifiant cauchemar, l'impuissance éperdue. Remarquablement écrit, sobrement mis en scène, joué par des acteurs dont aucun ne tire la couverture à soi, "Point limite" est un film d'autant plus angoissant que son scénario apocalyptique pourrait très bien se dérouler dans la réalité. Dans sa catégorie, un chef-d'œuvre !

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

1964 aux États-Unis, sortent la même année deux films dénonçant de manière radicalement opposée l’engrenage infernal dans lequel, la course folle à l’armement atomique devenu l’enjeu majeur de la Guerre Froide peut conduire l’humanité. Le premier sorti, "Docteur Folamour", farce délirante et grinçante de Stanley Kubrick, est devenu un classique jamais égalé, alors que "Point limite", le film de Sidney Lumet, s'est un peu perdu dans les limbes, seulement remis au goût du jour en 2000 par Stephen Frears qui, en hommage au réalisateur, en a proposé une version télévisée jouée en direct par un casting de prestige (George Clooney, Harvey Keitel, Richard Dreyfuss).

La course à l’arme nucléaire, devenue folle depuis la Deuxième Guerre mondiale et le traumatisme d’Hiroshima, a fini par échapper à ses instigateurs, qui se sont bercés mutuellement d’illusion avec « l’équilibre de la terreur » (la situation actuelle donne parfaitement écho au film de Lumet). Par la farce grotesque ou par l’anticipation réaliste, Kubrick et Lumet démontrent que toutes ces théories sont destinées tout autant à justifier les délires paranoïaques des états-majors militaires que la soif de profit de l’industrie de l’armement.

Il est assez paradoxal et jouissif que ce soit Walter Bernstein, scénariste blacklisté, qui soit à l’origine de l’adaptation du roman d’Eugene Burdick et Harvey Wheeler. Mais quand on connait la profonde honnêteté intellectuelle et l’humanisme de Lumet, on ne peut être surpris par sa volonté de réhabiliter de la plus belle des manières une victime de la folie dénoncée par le film. Pour encore ajouter au ridicule des théories pro-nucléaires vantées en préambule par le Professeur Groestechesle (génial Walter Matthau), dont la suffisance n’a d’égale que l’entêtement, c’est lors d’une inspection de routine destinée à montrer comment tout l’arsenal est parfaitement maîtrisé que le grain de sable se glisse dans la mécanique devenue tout à coup infernale.

Le système de contrôle basé en bout de ligne sur l’obéissance aveugle face à la défiance vis-à-vis de l’ennemi juré ne permet pas de retour en arrière, même quand la plus haute instance, c’est-à-dire le président des États-Unis, intime l’ordre de tout stopper. La caméra de Lumet, qui filme au plus près des visages, met merveilleusement en exergue les tensions qui s’expriment face aux choix cornéliens qui se font jour au fur et à mesure que les maigres digues de prévention tombent les unes après les autres. L’équilibre de la terreur tant vanté par toutes les huiles du Pentagone mène sa logique jusqu’au bout. Pour éviter que l’escalade ne conduise au chaos planétaire, il convient que les pertes soient équitablement partagées. Réjouissant programme ! Grâce à sa légendaire direction d’acteurs, Lumet met parfaitement en relief la tragédie de l’homme qui, ayant passé le pacte de Faust avec l’atome, est devenu le jouet de sa propre création. Comme le fera Robert Aldrich en 1977 avec "L’Ultimatum des trois mercenaires", Lumet pointe du doigt la tentation, toujours présente au pays de la démocratie, du commandement militaire de guider l’action du pouvoir politique. Idem pour l’énorme pression qui pèse sur le Président devant réussir à conserver son indépendance de jugement, garante de l’intérêt général.

Henry Fonda était sans aucun doute, à ce moment-là, le meilleur pour interpréter l’autorité suprême face au choix impossible mis entre ses mains par la situation. Son visage représentait l’honnêteté incarnée et Lumet ne s’y est pas trompé, qui filme le tourment qui l’habite sous tous les angles. À côté de lui, le tout jeune Larry Hagman (le fameux JR de la série "Dallas), étrangement ressemblant à Tom Hanks, est au diapason, ce qui est d’autant plus méritoire qu’il s’agit de l’une de ses premières apparitions à l’écran. Dan O’Herlihy, Frank Overton, Edward Binns, tous gradés du Pentagone, complètent fort bien la distribution, avec une palme pour Fritz Weaver en colonel qui « pète un câble » devant ce qu’il croit être le sacrifice de son pays par le politique.

On pourra dire ce que l’on veut d’Hollywood et de son système de production puritain qui oriente tous les talents vers le simple divertissement, mais il faut bien reconnaitre qu'à doses régulières, il laisse s’échapper des brûlots que l’on n'imagine pas être produits en France . Si vous n’avez pas vu "Point limite", précipitez-vous !

Blu-ray et DVD The Criterion Collection de "Point limite"
Affiche française de "Point limite"

Point limite - générique

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La chronique de Gilles Penso