titre original | "Junior Bonner" |
année de production | 1972 |
réalisation | Sam Peckinpah |
photographie | Lucien Ballard |
musique | Jerry Fielding |
interprétation | Steve McQueen, Robert Preston, Ida Lupino, Ben Johnson, Barbara Leigh, Joe Don Baker |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
"Junior Bonner", c’est un peu le film qui nous fait aimer le cinéma américain !
Peckinpah retrouve le lyrisme amer de "Coups de feu dans la sierra" et "Un nommé Cable Hogue".
Un as du rodéo (Steve McQueen, magnifiquement tendre et humain) traverse les États-Unis au volant de sa Cadillac miteuse sortie tout droit des années 60. Il participera aux Frontiers Days de Prescott, l’occasion pour lui de revenir dans sa ville natale et de retrouver sa famille. Mais son père (Robert Preston) est devenu un pilier de bar, son frère (Joe Don Baker), un immonde arriviste (« I'm workin on my first million. You're still workin on 8 seconds. ») et sa douce mère (Ida Lupino), une vieille dame vivant dans un mobil home délabré.
Contrairement aux autres héros du maître, Junior n’essaie pas d’arrêter le temps : il aidera son vieux père dans l’accomplissement de ses rêves puérils et soutiendra sa pauvre mère. Robert Preston et Ida Lupino, fantômes de l’âge d’or des grands studios, participent remarquablement à la nostalgie de l’ensemble.
Le film contient son lot de virtuosités (la signature du maître depuis "La Horde sauvage") : recours au noir et blanc, images gelées, montage éclaté, split screen ; mais Peckinpah reste au plus près de l’humain. Le cinéaste légendaire reste toujours tendre, même si tout est voué à disparaître : les hommes d’affaires puissants ont les traits rassurants de Ben Johnson, et la seule amérindienne du film est éclatante de beauté et de féminité (la superbe Barbara Leigh).
Belle partition de Jerry Fielding et superbe photo de Lucien Ballard (que Peckinpah retrouvait après "Coups de feu dans la sierra").
Touchant et d’une grande sensibilité, un très beau film.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Désormais, le cowboy et son cheval traversent les États-Unis, l'un dans une voiture, l'autre dans un van tiré par cette même voiture. Le lien permanent entre l'homme et l'animal qui avait fondé toute la mythologie du western s'est rompu. Les pratiques ouvrières des convoyeurs de bétail ont toutes été récupérées par le spectacle du rodéo. Junior Bonner est un de ces nouveaux cowboys qui parcourent le territoire à la recherche des primes qui leur permettront d'entretenir la nostalgie d'un rêve disparu.
"Junior Bonner" est sans doute le film de Peckinpah qui agrège et traduit le mieux ses préoccupations existentielles que sont le temps qui passe, la mort, la nostalgie ou encore l'asservissement de l'homme au progrès technique. En opposant deux frères, Peckinpah montre en creux comment les traditions se perdent au sein d'une même famille : alors que l'un s'accroche au mode de vie transmis par son père, l'autre, plus jeune, rachète le terrain familial pour en faire un camping. La scène d'ouverture où Junior retourne voir la maison de son enfance est très évocatrice de ce que sera le climat du film : là où était la maison de ses parents, les bulldozers s'affairent pour faire place nette aux caravanes ; Junior, qui tente un moment de se frayer un chemin, doit faire face à un monstre d'acier menaçant, métaphore du progrès qui avance, détruisant tout sur son passage. La vie itinérante et solitaire choisie par Bonner le condamne à l'extinction par l'absence d'une descendance. Celui qui s'accroche à son rêve face au progrès triomphant prend le risque de l'isolement, telle est la maxime du film.
Sam Peckinpah s'était fait remarquer par son utilisation stylisée de la violence devenue sa marque de fabrique après "La Horde sauvage". Avec "Junior Bonner", il fait une pause dans ce cycle pour donner une vision sans doute encore plus mélancolique et désenchantée d'un monde où il se sent étranger. Certains critiques, comme Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans leur ouvrage 50 ans de cinéma américain, ont dénoncé cette mise en scène de la violence, prétexte à masquer une certaine vacuité des scénarios au service d'un goût dommageable pour le tape à l'œil et les effets faciles comme l'abus du ralenti. D'autres ont vu dans l'œuvre de Peckinpah l'affirmation d'un auteur qui se sert de la pellicule pour exorciser ses obsessions et son mal de vivre. Quoi qu'il en soit, Peckinpah ne laisse personne indifférent par ses choix radicaux pas toujours servis, il est vrai, par une rigueur narrative sans faille.
Pour "Junior Bonner", ses choix, tant au niveau de la photographie, de la musique que du casting, montrent une cohérence qui structure le film tout autant que le scénario minimaliste de Jeb Rosebrook. Steve McQueen, Ida Lupino et Robert Preston se sont parfaitement fondus dans l'univers du réalisateur, qui démontre ici sa capacité à diriger les acteurs entre deux cuites.
À conseiller à tous ceux pour qui la nostalgie et l'attachement aux racines ne sont pas des valeurs réactionnaires .
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
À la fuite dans l'espace habituelle aux héros de Sam Peckinpah, "Junior Bonner" ajoute la fuite dans le temps, Junior et son père niant le présent et tentant de continuer à vivre selon l'expression de la "frontière" du 19ème siècle ; à ceci près que, si ces "dinosaures" doivent faire face, comme les héros de "Coups de feu dans la sierra", de "La Horde sauvage" et d'"Un nommé Cable Hogue", au monde moderne, ils doivent aussi souffrir de la manière caricaturale avec laquelle ce monde décrit le vieil Ouest. Empruntant comme "Un nommé Cable Hogue" la forme de la ballade, "Junior Bonner", nonobstant de saisissantes scènes de rodéo, est le film le moins spectaculaire (et le moins violent) de Sam Peckinpah, mais aussi le plus nostalgique, le plus serein.