« You'd be William Munny out of Missouri. Killer of women and children. »
titre original | "Unforgiven" |
année de production | 1992 |
réalisation | Clint Eastwood |
photographie | Jack N. Green |
musique | Lennie Niehaus |
montage | Joel Cox |
interprétation | Clint Eastwood, Gene Hackman, Morgan Freeman, Richard Harris, Saul Rubinek, Frances Fisher |
récompenses | • Oscar du meilleur film |
• Oscar du meilleur réalisateur | |
• Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Gene Hackman | |
• Oscar du meilleur montage |
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Admirable western crépusculaire nous offrant un portrait de tueur, racheté par l'amour conjugal et la vie familiale, que vient rattraper son passé. C'est aussi un enterrement de la légende de l'Ouest créée par des biographes crédules à l'image de l'un des personnages, romancier de l'Ouest. L'image est splendide et l'interprétation, Clint Eastwood en tête, remarquable de sobriété. Gene Hackman n'en est que plus terrifiant en shérif sadique.
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
À la fois révisionniste et récapitulatif, ce "dernier des westerns" (selon l'expression de son réalisateur) rassemble la plupart des thèmes majeurs du genre, mais leur donne une inflexion nettement post-moderne : anti-héros vieillissant et fatigué, accumulation de fiascos, de conduites d'échec, discours démystificateur inséré dans le récit lui-même (les scènes entre le scribe et le shérif). Ce western ruminatif et avare d'action évoque l'atmosphère du film noir : protagoniste hanté par son passé et que la fatalité semble poursuivre, vision du monde pessimiste, abondance des scènes nocturnes et pluvieuses... Eastwood cherche-t-il vraiment à "en finir" avec un genre qu'il a mieux illustré que n'importe quel autre réalisateur de sa génération ? Le moribond a la vie dure : ironiquement, le succès du film apporte au genre un regain de vigueur. Quoi qu'il en soit, un des chefs-d'œuvre d'Eastwood, sur un très beau scénario de David Webb Peoples.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Si l'image de Clint Eastwood reste accolée au western, genre qui l'a vu accéder à la célébrité en 1964 avec "Pour une poignée de dollars", premier volet de la fameuse trilogie des dollars, on remarquera que, devenu réalisateur (38 films entre 1971 et 2019), il n'y reviendra qu'à quatre reprises. Une production certes limitée, mais forte de quatre films importants, qui le verront petit à petit s'émanciper de l'influence de ses deux maîtres que furent Sergio Leone et Don Siegel. Le dernier de la liste, "Impitoyable", accentue encore un peu plus la noirceur qui imprègne la vision de l'Ouest selon Eastwood, très loin de la nostalgie qui affleure toujours derrière la violence que déploie, par exemple, un Sam Peckinpah ou, plus tard, un Kevin Costner.
Le scénario du film, écrit par David Webb Peoples, était en réalité dans les tiroirs depuis une dizaine d'années, avec une option prise par Francis Ford Coppola. Eastwood en prend connaissance par une lectrice de la Warner. Il est aussitôt emballé, et quand l'option de Coppola arrive à expiration, il se positionne. D'autres projets l'appellent, et il revient dessus quand il estime avoir l'âge de William Munny, le personnage central du film.
Clint Eastwood savait-il qu'il mettait en scène son dernier western quand il dédia "Impitoyable" à « Sergio et Don » ? Toujours est-il qu'il va se servir du travail de Peoples pour entreprendre une déconstruction systématique du mythe, déjà largement entamée depuis "L'Homme des hautes plaines" en 1973. À sa manière, Sergio Leone avait, lui aussi, participé à cette démystification du genre en y introduisant une large dose de cynisme, mais l'ogre romain, qui avait un goût prononcé pour la dérision, avait saupoudré ses trois films d'une bonne dose d'humour, introduisant par là même une certaine confusion sur sa démarche.
Rien de tout cela chez le Clint Eastwood de 1992. Son héros est vieillissant et clairement présenté comme un ancien tueur à gages sans scrupule aucun. Quand il doit remonter à cheval pour une dernière chasse à la prime, alors qu'il élève difficilement ses deux jeunes enfants que lui a laissés son épouse décédée, il se fait renverser sans ménagement. Le ton est donné d'emblée. Rien ne sera facile dans ce retour. Fini les John Wayne, Gary Cooper, Clark Gable et autre Randolph Scott chevauchant allègrement leur monture à plus de cinquante ans. Ici, on s'engage dans une sorte de cinéma vérité, ou plutôt, contre-légende. Les shérifs étant pour la plupart des anciens brigands ou des chasseurs de primes reconvertis, il ne faut rien attendre de bon et de loyal de leur part.
Little Big Daggett (Gene Hackman), le shérif de Big Whiskey, la petite bourgade où a été défigurée une prostituée dont Will Munny doit tuer les deux agresseurs, est une brute sadique. Les femmes sont à l'époque peu considérées, et il faudra que les prostituées réunissent leurs économies pour espérer obtenir réparation en payant un chasseur de primes. Mais la légende doit tout de même être écrite, et c'est un écrivaillon obséquieux, et pour tout dire minable (Saul Rubinek), vendant sa plume à qui veut lui acheter, qui s'en charge.
La démonstration d'Eastwood est méthodique, pour nous expliquer que rien n'est vrai de ce que les spectateurs amoureux de westerns ont aimé depuis les débuts d'Hollywood. Même Ned Logan (Morgan Freeman), le vieux compagnon débauché par Munny pour cet ultime travail, renonce quand il lui faut à nouveau "trouer des peaux", rappelant que prendre la vie d'un homme peut vous hanter jusqu'à la fin de vos jours. Faisant endosser à son western la charge bien lourde de rétablir une forme de vérité trop longtemps tronquée, Clint Eastwood, que l'on n'avait jamais connu aussi militant, aurait dû être rigoureux jusqu'au bout et éviter cette fusillade improbable, où Will Munny, seul avec son pistolet, dégaine plus vite que son ombre pour tuer près de cinq hommes, dont le terrible Little Big Daggett qui ne pouvait ignorer les intentions revanchardes de son visiteur du soir.
La critique s'est bien sûr emballée devant l'acte jugé comme rédempteur de celui qui fut "l'homme sans nom" chez Leone et le rétrograde inspecteur Harry Callahan chez Siegel. L'académie des Oscars a, en toute logique, suivi le mouvement en attribuant à "Impitoyable" quatre statuettes, dont deux majeures pour Clint Eastwood lui-même.
Malgré tout, on pourra préférer "Josey Wales hors-la-loi", qui outre porter un regard lucide sur les ravages de la guerre de Sécession, se double d'un regard élégiaque sur la renaissance d'un homme ayant tout perdu. Mais "Impitoyable", s'il ne mérite pas le qualificatif de western définitif qu'on a voulu lui attribuer, se laisse tout de même regarder, Clint Eastwood étant, à 62 ans, un réalisateur accompli qui sait raconter une histoire, mais aussi un formidable acteur. Quant à Gene Hackman et Richard Harris, ils sont prodigieux, comme presque toujours.
Clint Eastwood, Don Siegel et Sergio Leone
Dans le générique de fin d'"Impitoyable", les crédits s'achèvent par une dédicace à l'attention du cinéaste Don Siegel, décédé l'année précédant celle de la réalisation du film, ainsi que d'un autre metteur en scène, Sergio Leone. Clint Eastwood fut l'interprète principal de cinq des films de Don Siegel ("Un shérif à New York" dans les années 60, "Sierra torride", "Les Proies", "L'Inspecteur Harry" et "L'Évadé d'Alcatraz" dans les années 70), et tourna dans trois des films de Sergio Leone ("Le Bon, la Brute et le Truand", "Pour une poignée de dollars", "Et pour quelques dollars de plus").