titre original | "Husbands" |
année de production | 1970 |
réalisation | John Cassavetes |
scénario | John Cassavetes |
photographie | Victor J. Kemper |
production | Al Ruban |
interprétation | Ben Gazzara, Peter Falk, John Cassavetes, David Rowlands |
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Un film lent, insistant, pesant, refusant d'expliquer pour garder un cachet d'authenticité. Cette volonté de rupture due au mal de vivre est traduite par l'analyse de comportement dans un milieu précis, celui des classes moyennes.
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
Dérive et vaticinations de trois amis mal dans leur peau. La méthode John Cassavetes poussée à son point limite.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Pour son premier film en couleurs, Cassavetes fait appel à Ben Gazzara et Peter Falk, qui resteront par la suite dans le cercle des intimes du réalisateur. Il a croisé plusieurs fois Ben Gazzara dans sa filmographie d’acteur de séries télévisées, et il vient de tourner avec Peter Falk à Rome sous la direction de Giuliano Montaldo ("Gli intoccabili").
Trois quadragénaires de la classe bourgeoise supérieure se retrouvent pour l’enterrement de Stuart, leur ami commun. Défaits par la soudaineté de cette mort, et simultanément saisis par l’absurdité de l’existence, les trois compères décident de ne pas rentrer chez eux et s’embarquent pour une longue nuit d’errance où, redevenus adolescents, ils déambulent sans but précis dans New York, passant successivement du métro à un terrain de basket ou une piscine pour finir dans une soirée arrosée où ils vont martyriser une des convives alcoolisée, en l’obligeant à chanter à moult reprises une chanson pour un concours improvisé sur le vif par Gus (Cassavetes).
Au petit matin, la reprise des activités professionnelles (Gus est dentiste) dans les vapeurs d’alcool s’avère être un fiasco et, suite à une violente dispute d’Harry avec sa femme et sa belle-mère, ils s’embarquent tous les trois pour Londres sans aucun bagage pour un final peu glorieux dans un hôtel, qui se soldera par le retour au bercail de Gus et Archie (Peter Falk), Harry (Ben Gazzara) étant le seul à poursuivre l’aventure sur place.
Sur un thème sensiblement analogue, Mario Monicelli donnera, cinq ans plus tard, sa vision de la crise des quadras avec "Mes chers amis" dans lequel, comme chez Cassavetes, une bande de copains décide de prolonger la fête sans se donner de limite temporelle. Mais là où Monicelli donne dans la farce avec une succession de sketches drolatiques, Cassavetes offre une réflexion désabusée sur ce que deviennent nos vies quand elles sont emprisonnées dans les convenances sociales que sont le mariage, le travail ou le confort matériel. Le temps d’une escapade offerte par la mort d’un des leurs, les trois amis vont tenter de retrouver cette soif de vivre qui les habitait quand ils n’étaient encore que des adultes en devenir. Mais le temps a fait son œuvre, et la longue scène de l’hôtel où la quête sexuelle des trois mâles va virer au fiasco montre que la liberté prônée dans le sous-titre du film n’est pas si facile à appréhender.
Le propos de Cassavetes, profondément pessimiste, est la marque d’un homme sans illusion sur la condition humaine. Pour rendre crédible sa vision, Cassavetes cherche à saisir au plus près la vraie vie, il n’est donc pas question pour lui d’embarquer le spectateur dans une histoire scénarisée qui permettrait un instant à celui-ci d'échapper à la vérité crue que le réalisateur entend lui jeter à la face. Cette volonté de confondre le jeu des acteurs avec la réalité a taraudé plus d’un metteur en scène, mais peu y sont parvenus comme Cassavetes. Le tour de force est tellement convaincant qu’à plusieurs reprises, le spectateur a l’impression d’être le témoin gêné d’une scène qu’il ne peut arrêter, comme lorsque les trois comédiens chahutent brutalement Leola Harlow dans la scène du restaurant.
On imagine la dose de confiance que Cassavetes devait insuffler à ses acteurs pour les amener à se lâcher ainsi face à la caméra. Souvent, pour de telles expériences, la tentation est grande de faire appel à des comédiens débutants ayant moins d’artifices dans leur jeu pour se protéger. Cassavetes, lui, parvient à extraire ces moments de vérité de comédiens aguerris, qui acceptent devant sa caméra de se livrer à l’improvisation sans réserve. On tient sans doute là ce qui fait tout le crédit de Cassavetes auprès des critiques du monde entier et de ses collègues réalisateurs.
Le cinéma de Cassavetes est en retour souvent éprouvant, et il ne pourrait à lui seul constituer l’essence d’un art qui doit aussi amener une part de rêve et de distraction.
Le générique de "Husbands"