titre original | "Don't Look Up" |
année de production | 2021 |
réalisation | Adam McKay |
scénario | Adam McKay |
photographie | Linus Sandgren |
musique | Nicholas Britell |
interprétation | Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, Rob Morgan, Jonah Hill, Mark Rylance, Tyler Perry, Timothée Chalamet, Ron Perlman, Ariana Grande, Tomer Sisley, Liev Schreiber |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Le nom d’Adam McKay était, jusqu’en 2015 et la sortie de "The Big Short : le casse du siècle", indissociable de celui de Will Ferrell avec lequel le réalisateur avait commis six comédies typiquement américaines aux gags plutôt appuyés. Cette nouvelle orientation en compagnie de Brad Pitt, Christian Bale et Ryan Goslinq semble avoir été très profitable pour Adam McKay, élargissant grandement son champ des possibles. Avec "Don’t Look Up", le réalisateur en état de grâce, livre une sorte de méta-film « coup de poing », tout à la fois drôle et désespéré, décrivant avec une parfaite acuité l’état actuel de la société américaine et, par ricochet, celui de ses petites sœurs européennes avec lesquelles le décalage temporel d’influence est de plus en plus réduit.
Comme autrefois les réalisateurs hollywoodiens des années 1950 s’emparant de la science-fiction et des petits hommes verts pour alerter les masses sur le péril communiste, Adam McKay fait de la collusion inéluctable d’un astéroïde avec la Terre, le révélateur tragique de l’incapacité de l’homme à se projeter par-delà l’horizon de sa propre destinée. Une incapacité venue du fond des âges et de la prise de conscience de sa propre existence délimitée par la mort qui la conclut. Une équation insoluble et infernale, qui peut être vue comme une malédiction poussant l’homme à un dépassement de lui-même sans limite, approchant de son paroxysme après un siècle d’évolution exponentielle des techniques dans tous les domaines, surajoutant à un individualisme forcené, l’illusion pour certains d’une surpuissance absolue, conduisant à ne pas prendre au sérieux l’alerte gravissime lancée par les deux astrophysiciens (Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence). Pourtant, l’avènement tant attendu d’une femme comme Présidente de la plus grande puissance du monde (Meryl Streep géniale) aurait dû être un élément favorisant une prise de conscience accélérée. Que nenni ! Comme tous ses prédécesseurs masculins, celle-ci ne pense qu’à terrasser son futur adversaire dans l’optique de sa propre réélection.
Adam McKay, décidément très en colère, distribue généreusement les uppercuts à tout va et fait systématiquement mouche, aidé par son duo vedette particulièrement efficace et impliqué. Le monde politique aux abonnés absents, les médias ne sont guère plus épargnés, qui sont devenus incapables d’établir la moindre hiérarchie entre l’essentiel (ici le vital) et l’anecdotique. La fin du monde à laquelle personne ne veut croire attendra que la nouvelle coqueluche pop (Ariana Grande) se réconcilie en direct avec son petit ami (Kid Cudi), qui va profiter de l’occasion pour lui demander sa main ! Il n’y aura donc personne pour vouloir sauver le monde ?
On croit savoir que la Présidente est au mieux avec l’un de ces patrons de multinationales de la communication dont on nous dit que ce sont eux désormais les visionnaires qui détiennent la solution à tous les problèmes de notre planète qui s’en va tout droit vers l’abîme. L’ami de la Présidente, interprété par un Mark Rylance littéralement en apesanteur, n’est en réalité qu’un de ces gourous au look « cool » et new age, cachant mal un ego grand comme un océan, qui arpentent de gauche à droite les estrades pour expliquer à un public toujours plus béat comment son nouveau portable, conçu en toute philanthropie ( !!!), va enfin les rendre heureux. Celui-ci est d’accord pour venir en aide au petit peuple, mais à sa manière. C’est-à-dire à la condition qu’à l’arrivée, ses profits soient maximisés. Pendant ce temps-là, l’astéroïde continue sa course folle et nos deux astronautes ne savent plus à quel saint se vouer en attendant le traditionnel happy end hollywoodien.
La charge a été jugée par une bonne partie de la critique comme exagérée et propre à affoler sans fournir l’ombre d’une solution. En réalité, tout ce qui est montré sur l’écran à la sauce pamphlétaire n’est que le résultat de plus d’un siècle à s’être laissé aveugler par les progrès technologiques nés d’une imagination humaine, certes prodigieusement fertile, mais pas souvent humble et prospective. La réaction d’une certaine critique semble en vérité tout droit sorti du film d’Adam McKay qui, à la manière du fameux "Docteur Folamour" de Stanley Kubrick en 1964, tente d’alarmer sur un hubris devenu fou, prenant sans doute ses racines dans le désespoir engendré depuis la nuit des temps par une condition de mortel que rien ne pourra sans doute jamais apaiser.
Fortement iconoclaste et déstabilisant, "Don't Look Up" fera date, soyons-en sûrs.