titre original | "Cruising" |
année de production | 1980 |
réalisation | William Friedkin |
scénario | William Friedkin, d'après le roman de Gerald Walker |
montage | Bud S. Smith |
photographie | James A. Contner |
musique | Jack Nitzsche |
production | Jerry Weintraub |
interprétation | Al Pacino, Karen Allen, Paul Sorvino, Joe Spinell, Powers Boothe |
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Une descente aux enfers hallucinante qui tient du reportage autant que du thriller. Impressionnant et malsain.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Quand il réalise "Cruising" en 1980, William Friedkin est au creux de la vague après l’échec cuisant du "Convoi de la peur", remake du "Salaire de la peur" (1953) d’Henri-Georges Clouzot, suivi par "Têtes vides cherchent coffres pleins", film d’arnaque humoristique qui, lui non plus, n’a pas attiré les foules. Le réalisateur est alors contacté par Philip d’Antoni, producteur de "French Connection", au sujet d’un roman datant de 1970, écrit par un reporter du New York Times, s’intéressant à un tueur en série sévissant dans le milieu homosexuel new yorkais. À la première approche, Friedkin n’est pas emballé. Mais une affaire semblable, bien réelle, visant les bars à cuir et impliquant étonnement l’un des figurants présents sur "L’Exorciste", réveille brutalement son intérêt. Comme toujours en quête de vérité, Friedkin s’entoure, comme consultants, de deux policiers spécialisés dans les infiltrations. Sonny Grosso tout d’abord, un des acteurs majeurs du démantèlement de la French Connection, épaulé par Randy Jurgensen, qui avait lui-même infiltré le milieu gay. Tous les deux apparaîtront dans le film.
S’il n’a pas été un réel échec commercial, "Cruising" a été au centre d’une polémique avant et pendant le tournage, mais aussi bien sûr après sa sortie. Une partie de la communauté gay, alors en pleine lutte pour ses droits, reprochait à William Friedkin d’essentialiser, à travers la description détaillée et prolongée, des pratiques SM de certains des leurs et ainsi d’exposer l’ensemble de la communauté à la vindicte, voire à des représailles. Le réalisateur s’est toujours défendu d’avoir voulu stigmatiser les homosexuels, mais s’être seulement inspiré d’une affaire policière réelle pour réaliser un thriller captivant. Dans ce but, il avait d’ailleurs pris soin juste, après le générique, de placer un avertissement précisant que son film n’entendait porter aucun jugement moral sur une quelconque pratique sexuelle. Cette initiative avait elle aussi été sujette à critiques, au prétexte que si Friedkin avait jugé utile de placer un avertissement, c’est qu’il était bien conscient de l’interprétation qui pourrait être faite des images très crues qu’il montrait.
Avec le recul, il faut admettre que l’ambiguïté du flic infiltré joué par Al Pacino n’aide pas à la clarté du message. Le choix de ne pas montrer un tueur clairement identifié, mais plusieurs, laisse planer l’idée que la découverte de sa propre homosexualité par Steve Burns (Al Pacino) l’aurait conduit, par culpabilité, à devenir lui aussi un tueur. On ne peut pas croire que William Friedkin n’ait pas pesé à l’époque les conséquences possibles de ces ambiguïtés sulfureuses. Le caractère trempé du cinéaste est bien connu à Hollywood, tout comme son goût pour la provocation. La discussion aurait en toute logique pu être sans fin, et c’est seulement le temps qui a permis au film de se voir enfin réhabilité dans son statut de film policier. Aujourd’hui, ce sont les non-choix volontaires d’un Friedkin visionnaire qui donnent tout son mystère et sa force à ce film remarquablement photographié, formidablement rythmé par la musique de Jack Nitzche (présence de deux chansons du grand Willy De Ville) et particulièrement prenant, malgré une enquête déstabilisante, car très loin des conventions habituelles du thriller.
On saluera bien sûr la prestation d’Al Pacino, qui s’est très mal entendu avec Friedkin sur le tournage et qui s’est très vite désolidarisé de son réalisateur une fois que la polémique a enflé. S’il n’a pas l’androgynie que Friedkin recherchait chez Richard Gere, son premier choix, Pacino, par la fièvre intense qui se dégage de son regard noir, transmet parfaitement le trouble qui envahit son personnage plongé dans un univers sans aucun doute très déstabilisant pour celui qui en ignore les codes. Un film déroutant, qu’il faut sans aucun doute remettre à sa juste place au sein de la prestigieuse filmographie de son auteur.
La critique de Pierre
Non content d'avoir illuminé les années 70 avec "French Connection", "L'Exorciste" et "Le Convoi de la peur", Friedkin entre de plein pied dans les années 80 avec ce "Cruising" injustement oublié.
Le pitch : un serial killer sévit dans le milieu des leather bars, à savoir celui des gays SM new-yorkais. Frank Burns (Al Pacino), un jeune flic hétéro qui ressemble aux victimes, est choisi par le commissaire en charge de l'enquête (Paul Sorvino) pour infiltrer le "milieu".
Deux polémiques sans intérêt :
- les protestations dont le film a fait l'objet (avant même sa sortie) de la part de la communauté homosexuelle ;
- les rapports Friedkin/Pacino, exécrables : encore récemment, Friedkin a dit que Pacino était insupportable (arrive en retard, fait exprès d'être mauvais pour que ses partenaires s'épuisent afin d'être ensuite le seul bon sur la prise). Ceci dit, Friedkin, dans le doc, dit qu'il s'est rendu compte que Pacino avait joué très juste.
Deux remarques pas très intéressantes non plus :
- une apparition de Powers Boothe, un second couteau avec une gueule vraiment pas mal, qui joue le vice-président dans "24 heures chrono" saison 6 ;
- un petit rôle pour Joe Spinell, qui se baladait six mois plus tôt dans les mêmes rues, mais cette fois dans le rôle du "Maniac" cher à William Lustig.
Et surtout, qu'est-ce que ça vaut ? Ben, c'est super. D'abord parce que NY/Friedkin/Pacino, que voulez-vous, rien que ça, ça fonctionne. Et le réalisme du film est très frappant (une marque de fabrique de Friedkin). Comme dans les meilleurs films de l'auteur, ça sent le soufre. On est dans l’ambiguïté - sexuelle et morale - permanente.
La mise en image est très réussie, le rythme soutenu, la musique d'ambiance - discrète - est très efficace et réussit à rester en mémoire (pas évident vu la grosse BO punk qu'on entend tout le temps dans les bars et qui casse la tête). Bien sûr, c'est scabreux et glauque, mais bon, ça, on le sait tout de suite, faut l'accepter.
C'est donc UNE RÉUSSITE. Il était temps que le DVD sorte !
Les films de William Friedkin © Faboolis
La critique de Bertrand Mathieux