titre original | "Bates Motel" |
année de production | 2013-2017 |
création | Carlton Cuse, Kerry Ehrin et Anthony Cipriano |
photographie | John S. Bartley et Thomas Yatsko |
musique | Chris Bacon |
interprétation | Vera Farmiga, Freddie Highmore, Max Thieriot, Olivia Cooke, Nestor Carbonell |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
"Psychose", le chef-d'œuvre indépassable d'Alfred Hitchcock sorti sur les écrans en 1960 est sans aucun doute trente ans avant le choc provoqué par "Le Silence des agneaux" de Jonathan Demme (1990), le film précurseur de tous ceux dédiés aux serial killers. Depuis près de soixante ans, les emprunts au film sur tous les modes ne se comptent plus. Certains comme Brian de Palma, grand admirateur d'Hitchcock, parsèment leurs métrages de clins d'œil aux scènes les plus célèbres de "Psychose", comme celle fameuse de la douche évoquée dans "Pulsions", puis parodiée dans "Body Double". De remake il n'y eu point jusqu'à ce qu'en 1999, Gus Van Sant avec "Psycho" en propose une copie conforme plan par plan, faisant ainsi la démonstration que s'attaquer à ce monument haut comme une montagne était une tentative vaine et forcément vouée à l'échec en raison du culte qui l'entoure (le film a seulement rapporté la moitié de son budget).
Pourtant, dès l'origine, le scénario écrit par Joseph Stefano à partir du roman de Robert Bloch faisait naitre bien des interrogations qui laissaient autant de portes ouvertes à une préquelle, phénomène bien établi depuis deux décennies à Hollywood et dont se sont désormais emparé les créateurs de séries. Comment Norma Bates est-il devenu le criminel psychopathe décrit par Hitchcock et interprété par Anthony Perkins ? A-t-il déjà tué avant le passage de Marion Crane (Janet Leigh) dans son motel ? Qui était sa mère Norma qui semble avoir au fil du temps vampirisé sa personnalité ? Norma Bates s'est-elle réellement suicidée ?
C'est Carlton Cuse et Kerry Ehrin, deux scénaristes de talent rompus à l'exercice des séries, qui ont donc osé se lancer dans l'aventure de proposer une série de cinq saisons, dont quatre consacrées à la construction de la personnalité dissociée de Norman Bates (le trouble dissociatif de l'identité reconnu aux États-Unis en 1994 était à l'époque du film d'Hitchcock confondu avec les troubles liés à la schizophrénie). Le pari était donc risqué de rendre un hommage à "Psychose" empreint du respect obligatoire au travail d'Hitchcock en subissant l'emprise d'un carcan trop contraignant. En résumé, il fallait trouver la voie du pastiche intelligent plutôt que d'emprunter celle plus tentante et facile de la parodie ou du plagiat.
Les scénaristes ont parfaitement compris à travers les questions restées en suspens citées plus haut que c'était dans le développement de la relation entre le fils et sa mère que se trouvaient tout l'intérêt et la justification de leur démarche. Ce postulat établi à partir duquel une équipe de scénaristes expérimentés pouvait utilement travailler, restait l'écueil périlleux de la distribution des deux rôles principaux. Pour celui emblématique de Norman Bates, impossible de s'éloigner de la figure tutélaire d'Anthony Perkins qui imprima si profondément son empreinte sur le personnage que sa carrière hollywoodienne ne parviendra jamais à décoller par la suite. Freddie Highmore, anglais comme Perkins et remarqué très jeune dans "Charlie et la chocolaterie" de Tim Burton aux côtés de Johnny Depp puis dans la trilogie "Arthur et les Minimoys" de Luc Besson compose un Norman Bates plus que convaincant à travers la large palette de nuances que recèle son jeu très prometteur. Pour Norma Bates dont il fallait créer le personnage de toutes pièces, c'est la très charismatique Vera Farmiga dont la carrière à Hollywood n'est pas encore à la hauteur de son talent qui apporte à cette mère possessive au passé plus que chargé, toute l'ambigüité nécessaire pour que le spectateur puisse enfin mettre un visage sur une femme névrosée qui a largement contribué à façonner la personnalité d'un Norman Bates trop longtemps confiné dans une enfance aux contours incestueux à peine masqués.
Autour de ce duo que l'on peut nommer couple se greffe une brochette de personnages tous fort justement dessinés qui auront à pâtir gravement de la fusion maladive des gestionnaires du "Bates Motel" nouvellement implanté dans la petite ville de White Pine Bay (ville imaginaire de l'Oregon qui est en réalité Aldergrove située en Colombie-Britannique au Canada), sorte de réplique de Twin Peaks, autre ville imaginaire créée en 1990 par David Lynch où la culture du pavot aurait remplacé les imposantes scieries bordant les célèbres chutes dont l'image ouvrait le générique rythmé par l'envoûtante musique d'Angelo Baladamenti. Aucune des intrigues secondaires construites pour entretenir le suspense ne vient abîmer la personnalité de Norman Bates proposée par Alfred Hitchcock. On conçoit en effet parfaitement que tout ce qui gravite autour de Norma et de Norman Bates soit empreint de toxicité dans le but de conserver intacte l'atmosphère étouffante de l'œuvre séminale.
Judicieusement a été introduit via Dylan (Max Thieriot) un frère sain à Norman qui apportera avec le personnage d'Emma Decody (Olivia Cooke), jeune fille atteinte de mucoviscidose au visage angélique, une bouffée d'air frais permettant de sortir à intervalles réguliers le spectateur du marasme ambiant pour mieux l'y replonger à la fin de chaque épisode. Ainsi, le fil qui relie "Bates Motel" à son prestigieux aîné, s'il est parfois distendu n'est heureusement jamais rompu. Le parfum de Twin Peaks évoquée plus haut qui nimbe la série est franchement perceptible grâce au personnage iconoclaste de Chick Hogan (Ryan Hurst), trafiquant solitaire, insoumis, brutal mais aussi poète à ses heures, directement inspiré de "la femme à la bûche" chère à David Lynch.
Au fil des quatre premières saisons, le scénario semble nous conduire doucement, mais sûrement vers les évènements qui servirent de trame au film de 1960. Effectivement, l'ultime saison amène Marion Crane, cette fois-ci interprétée par Rihanna en lieu et place de Janet Leigh, au Bates Motel, et la scène de la douche est bien restituée. Mais comme le dit la scénariste et productrice Kerry Ehrin : « Bates Motel" longe "Psychose" avant de le traverser pour finir par proposer sa propre fin de l'aventure. » On évite ainsi la faute de goût qui aurait consisté, par un respect trop pointilleux qui n'était plus de mise après un si long prologue, à se résoudre sagement à une reproduction intégrale sur la dernière saison.
On peut donc dire que tous les écueils ont été brillamment évités, démontrant une fois de plus le savoir-faire incomparable des Américains pour inventer tout en recyclant quand ils veulent s'en donner les moyens et surtout l'ambition. Bizarrement, malgré une flopée de récompenses, l'intérêt pour la série a progressivement décliné lors de sa diffusion sur A&E. Malgré tout, "Bates Motel" reste une très intelligente digression à partir d'un film culte qui n'est en rien déshonoré par cette réappropriation. Et puis, il y a Vera Farmiga, digne héritière de la grande Jessica Lange.
La chronique de Gilles Penso