titre original | "Popeye" |
année de production | 1980 |
réalisation | Robert Altman |
scénario | d'après la bande dessinée d'E.C. Segar |
photographie | Giuseppe Rotunno |
production | Robert Evans |
interprétation | Robin Williams, Shelley Duvall, Donald Moffat, Linda Hunt, Dennis Franz |
Critique extraite de 50 ans de cinéma américain de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon
Robert Altman tente bravement de donner vie, avec des acteurs et en prise de vues directe, aux personnages de la célèbre bande dessinée de Segar (et des dessins animés de Dave et Max Fleischer). Un travail énorme, multitude de talents comiques (dont le génial Bill Irwin), bande sonore foisonnante, fourmillement de gags aux quatre coins de l'écran, pour un résultat qui force plus le respect et l'admiration qu'il n'engendre le rire jubilatoire espéré. Sublime interprétation de Shelley Duvall dans le rôle d'Olive Oyl.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Imaginer une association entre Robert Altman et les studios Disney, même pour le temps d'un seul film, semble une bizarrerie baroque quant on connait l'esprit d'indépendance du réalisateur de "M.A.S.H." et les contraintes de tout ordre imposées par Disney Pictures obsédé depuis toujours par la préservation de son image de marque. C'est pourtant arrivé en cette année 1980. Il aura fallu l'entremise du producteur playboy Robert Evans, grand ami d'Altman, qui travaillait encore à l'époque pour la Paramount en free lance et qui s'était vu confier le projet par les studios Disney alors un peu en perte d'imagination pour que cet attelage improbable se mette en branle. Si les noms d'Hal Ashby, Louis Malle et Jerry Lewis ont été évoqués pour la réalisation, Altman est vite imposé par Evans sans que bizarrement cela n'ait suscité de réserves insurmontables. Altman sortait de quelques échecs commerciaux, et l'idée de tourner à Malte pour un budget conséquent a du finir de le convaincre.
L'écriture du scénario est confiée à Jules Feiffer, créateur de bandes dessinées qui tenait à rester le plus fidèle possible à l'œuvre originale d'E.C Segar, le créateur de Popeye, et ainsi se démarquer de l'adaptation en dessins animés produite par Max Fleischer entre 1933 et 1957 qui a donné au petit marin à gros bras amateur d'épinards sa renommée mondiale. Ce parti pris de Feiffer sera l'objet de discordes avec Altman, qui se sentait sans doute quelques affinités avec le côté potache et tartes à la crème popularisé par Fleischer. Comme toujours avec Altman, le tournage fut une aventure épique parfumée aux senteurs de marijuana et autres substances illicites.
Le film est réputé avoir été un flop alors qu'il rapporta trois fois sa mise, mais Michael Eisner, le boss de la Paramount, futur patron de Disney, en attendait beaucoup plus, et il voulait certainement se payer les deux frondeurs qu'étaient Evans et Altman. L'alchimie née de cette rencontre improbable fonctionne pourtant à l'écran, "Popeye" étant un film parfaitement équilibré entre la magie de ses décors (le village de Sweetheaven reconstitué à Malte, devenu depuis une attraction touristique), la chorégraphie accompagnant les incontournables chansons de tout film marqué du sceau Disney, la musique d'Harry Nilsson et la transposition physique des personnages. Le tout est parfaitement assemblé par Altman qui nous emmène deux heures durant dans un village de pêcheurs où le petit marin, qui ignore sa force, débarque à la recherche éperdue de son Pôpa (papa) pour y trouver l'amour (Olive). Une arrivée dans le village qui rappelle, dans sa construction, celle de John McCabe dans le village de mineurs rythmée par la musique et la voix lancinante de Leonard Cohen. Personne mieux qu'Altman ne sait rendre les atmosphères grouillantes où une multitude de personnages interagissent, et ceci, sans faire perdre au spectateur une miette des détails insolites qui retiennent l'attention. Les portraits de groupe sont la marque de fabrique du cinéma d'Altman, et il a parfaitement su utiliser ce don rare pour faire vivre la petite communauté de Sweetheaven, peut-être d'ailleurs au détriment de Popeye lui-même un peu perdu dans cette joyeuse sarabande.
Les trouvailles visuelles sont nombreuses et toujours rafraîchissantes, qui font de cette adaptation une entreprise modeste dans son propos et, de ce fait, beaucoup plus sympathique que celle pompeuse des aventures de Peter Pan proposée onze ans plus tard par Steven Spielberg. Si Robin Williams, encore à ses débuts, compose un Popeye tout à fait honnête, on ne peut que se réjouir que l'occasion ait été donnée à Shelley Duvall de se draper au moins une fois des habits d'Olive Oyl, qui semblent avoir été dessinés à son unique intention par E.C Segar.
Il faut donc replacer "Popeye" à son juste et honnête rang dans la filmographie foisonnante de Robert Altman, et regretter qu'aucune édition DVD ne soit encore disponible en France.
Il faut noter enfin que Paul L. Smith, qui incarne Brutus, le rival de Popeye pour la conquête d'Olive, ressemble comme deux gouttes d'eau à Bud Spencer.
Le générique de "Popeye" conçu par Patty Ryan