« Mister, I was born for it. »
titre original | "Nightmare Alley" |
année de production | 2021 |
réalisation | Guillermo del Toro |
scénario | Guillermo del Toro et Kim Morgan, d'après le roman de William Lindsay Gresham |
photographie | Dan Laustsen |
musique | Nathan Johnson |
production | Bradley Cooper, J. Miles Dale et Guillermo del Toro |
interprétation | Bradley Cooper, Cate Blanchett, Toni Collette, Willem Dafoe, Richard Jenkins, Rooney Mara, Ron Perlman, Mary Steenburgen, David Strathairn, Holt McCallany, Clifton Collins Jr., Tim Blake Nelson |
version précédente | "Le Charlatan" ("Nightmare Alley") d'Edmund Goulding, 1947, États-Unis |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
"Le Charlatan" d’Edmund Goulding, sorti sur les écrans en 1947, a acquis avec le temps le statut de film culte auprès des cinéphiles. Notamment en raison de la performance de Tyrone Power dans le rôle de Stanton Carlisle, vagabond sans scrupule, qui après avoir séduit la comparse et compagne d’un télépathe de cirque ambulant, lui dérobe le carnet contenant les secrets de son tour pour s’enfuir à New York où avec l’aide d’une psychologue, il grugera les membres de la haute société en faisant « parler leurs morts ». Le parcours tragique de ce bonimenteur avide d’argent et de reconnaissance avait permis à Tyrone Power de s’émanciper des rôles de jeunes premiers ténébreux qu’il incarnait pour la Fox, qui avait bien sûr tenté de le dissuader de se lancer dans l’aventure afin de ne pas ternir l’image de sa poule aux œufs d’or, superbe riposte au flibustier de la Warner, Errol Flynn. Le film tourné en noir et blanc était particulièrement pessimiste sur la nature humaine incapable d’accepter les différences, replongeant le spectateur dans l’univers forain peuplé de monstres du fameux mais aussi maudit "Freaks" de Tod Browning produit par la MGM en 1932.
Un film culte donc, dont le remake était un pari osé qu’a courageusement tenté Guillermo del Toro qui aujourd’hui, était sans doute le plus apte à se lancer dans l'aventure. Le réalisateur mexicain a certainement détecté que l’ambiance mystique du roman de William Lindsay Gresham (paru en 1946) pouvait avoir des correspondances avec celui onirique, fantastique et parfois inquiétant qu’il a su développer dans ses films les plus réussis comme "L’Échine du diable" (2001), "Hellboy" (2004), "Le Labyrinthe de Pan" (2006) ou "La Forme de l’eau" (2017). Fidèle à l’esprit du roman et du film d’Edmund Goulding, "Nightmare Alley" permet à Guillermo del Toro de livrer l'une de ses œuvres les plus abouties, réussissant à insérer son style visuel si particulier et quelquefois un peu vain dans une intrigue parfaitement tenue.
Partagé en deux parties, le film supporte sans problème sa durée atteignant deux heures trente ce qui, il faut bien l’avouer, n’est pas souvent le cas de nos jours où aucun blockbuster n’est pourtant envisageable en deçà des incompressibles deux heures de métrage. Deux parties distinctes, équilibrées et parfaitement fluides voyant le jeu du toujours sobre Bradley Cooper épouser les deux faces d'un personnage complexe et troublant. Dans la partie foraine très immersive et somptueuse visuellement, il est efficacement épaulé par Willem Dafoe, Toni Collette et Ron Perlman, fidèle compagnon de route de del Toro. C'est une Cate Blanchett, au visage devenu presque irréel mais totalement envoûtant, qui rejoint le télépathe devenu escroc pour une confrontation qui donne au film ses plus belles scènes, empreintes d’une sensualité évanescente.
Del Toro livre, grâce ce remake réussi, son film le plus adulte, qui n'enlève toutefois rien à la beauté et à la force de celui d’Edmund Goulding qui, on l'espère, sera vu par nombre de ceux qui ont aimé "Nightmare Alley". Enfin, saluons une fois encore la performance de Bradley Cooper, dont on a parfois du mal à définir le positionnement au sein de la production hollywoodienne actuelle.