titre original | "Out of the Furnace" |
année de production | 2013 |
réalisation | Scott Cooper |
scénario | Scott Cooper et Brad Ingelsby |
photographie | Masanobu Takayanagi |
interprétation | Woody Harrelson, Christian Bale, Casey Affleck, Zoe Saldana, Sam Shepard, Willem Dafoe, Forest Whitaker |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Acteur assez obscur, Scott Cooper semble vouloir se recycler en qualité de réalisateur depuis le très remarqué "Crazy Heart", qui a valu à Jeff Bridges en 2010 son premier Oscar. "Les Brasiers de la colère", son deuxième essai, tente de renouer avec les drames sociaux des années 1970 sur fond de crise économique et de retour difficile des GI's du Vietnam. Les conflits d'Irak et d'Afghanistan fournissent à Scott Cooper l'occasion de montrer que la situation n'a pas beaucoup évolué et que l'histoire a une fâcheuse tendance au bégaiement. La référence ultime de ce cinéma mythique pour Cooper est d'évidence "Voyage au bout de l'enfer", auquel le réalisateur fait plusieurs fois allusion de manière explicite, notamment en plaçant l’action de son film dans un petit centre minier de Pennsylvanie ou en recopiant la scène de chasse au cerf qui offrait une confrontation muette entre l’animal et De Niro le chasseur.
La désindustrialisation est toujours en marche, et le jeune réalisateur montre l’abandon dans lequel se trouvent les habitants des petites cités autrefois prospères, qui n’ont plus d’autre choix que de tenter de survivre des maigres subsides de l’État, de petits boulots ou, pire encore, de se laisser aller aux trafics en tout genre. Alexander Payne, dans "Nebraska", de manière peut-être encore plus désenchantée quoique moins brutale, dresse aussi le même constat, comme si l’Amérique était incapable de se régénérer sans semer derrière une cohorte de laissés pour compte, prise dans une sorte de marche en avant rythmée par les nouveaux eldorados que régulièrement elle s’invente. L’or, le pétrole ou le chemin de fer autrefois, le gaz de schiste en ce début de XXIe siècle.
Russell (Christian Bale) et Rodney (Casey Affleck) sont les descendants de l’un de ces ouvriers qui ont fait la prospérité de leur bourgade et dont la vie se termine dans les souffrances infligées par le labeur infernal au sein de l’usine sidérurgique qui autrefois donnait du travail à tout le monde. L’aîné, Russell, s'inscrit dans la tradition qui veut que le travail structure toute la vie de l’ouvrier, y compris jusqu’à la mort, tandis que son cadet Rodney, qui s’est rebellé contre ce déterminisme social, n’a pas trouvé mieux que d’aller donner sa jeunesse à l’oncle Sam dans l'une ces expéditions imposées par le rôle de « gendarme du monde » autoproclamé que la plus grande démocratie du monde s’est octroyé. Le constat au retour est encore plus amer, l’État n’étant pas plus reconnaissant que les patrons capitalistes. Vieille ritournelle du retour douloureux des héros de guerre qui ne sont plus nulle part chez eux.
C’est pourtant Russell qui fera de la prison, ayant provoqué un accident mortel sous l’emprise de l’alcool. Durant cette absence, son père est mort et son frère a commencé à dévaler la pente suite à son dernier séjour en Afghanistan. C’est par les combats à mains nues clandestins que Rodney espère désormais régler ses dettes et s’offrir une nouvelle vie. Le film bascule alors dans le thriller, suivant l’itinéraire suicidaire de Rodney avec l’entrée en jeu des vieux routiers du genre que sont Woody Harrelson et Willem Dafoe.
Forcément, les films auxquels se réfère "Les Brasiers de la colère" atténuent quelque peu le choc ressenti devant ce constat désabusé. Il n’empêche que les acteurs sont tous formidables, avec Christian Bale dans l'une de ses meilleures prestations toute en sobriété et Woody Harrelson parfait en ordure intégrale. Il serait donc injuste de décrier cette tentative de Scott Cooper sous prétexte que de glorieux aînés ont mis avant lui leurs pas dans cette veine de la dénonciation d’une société américaine qui a bien du mal à régler ses problèmes autrement que par une violence qu’elle semble porter en elle comme une malédiction.
Scott Cooper et Christian Bale
"Les Brasiers de la colère" est la première collaboration du réalisateur avec l'acteur. Suivront "Hostiles" (2017) et "The Pale Blue Eye" (2022).