Sometimes I lives in the country, Sometimes I lives in town
Sometimes I take a great notion, To jump into the river an’ drown
titre original | "Sometimes a Great Notion" |
année de production | 1971 |
réalisation | Paul Newman |
scénario | John Gay, d'après le roman éponyme ("Et quelquefois j’ai comme une grande idée" en français) de Ken Kesey (1964) |
photographie | Richard Moore |
musique | Henry Mancini |
production | John Foreman |
interprétation | Paul Newman, Henry Fonda, Lee Remick, Richard Jaeckel, Michael Sarrazin |
La critique de Sébastien Miguel pour Plans Américains
La vie et les problèmes d’une vieille famille de bûcherons du fin fond de l’Oregon. Newman tente de retrouver la verve d’un Howard Hawks et le punch d’un Raoul Walsh. Pari réussi !
Quelques maladresses techniques (plans de coupe bizarres, prises de vue à l’hélicoptère pas toujours gracieuses…), mais un traitement souvent brillant (étonnante séquence où les ouvriers commencent leur journée par un tour en barque entre chien et loup).
Newman aime les acteurs et dirige magnifiquement ses collègues : Sarrazin est formidable en beatnik orphelin revenant vers les siens, Lee Remick (dans un personnage très bien écrit) est d’une grande justesse, et on aime aussi Richard Jaeckel (acteur fétiche de Robert Aldrich) particulièrement touchant dans un personnage finalement très éloigné de ses gros durs qu’il connaissait par cœur.
L’Amérique industrielle et ses maux (chômage, désespérance et violence…) poussent les représentants de l’Ouest d’antan vers la sortie. Le personnage du patriarche (Henry Fonda juste monumental !) apparaît comme le dernier représentant anachronique de cette Amérique idéalisée, légendaire.
La séquence où Richard Jaeckel, coincé sous un tronc d’arbre, voit progressivement l’eau monter autour de lui reste un magnifique moment de cinéma, un superbe morceau de bravoure.
À l’image de son auteur, un très beau film humain et généreux.
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Au début de la décennie 1970, Paul Newman est au sommet de sa gloire. Il vient de triompher en compagnie de Robert Redford dans "Butch Cassidy et le Kid" (1969) de George Roy Hill et de faire des débuts remarqués en qualité de réalisateur avec "Rachel, Rachel" (1968) dans lequel il dirige sa femme Joanne Wooward. Quand la Universal le contacte pour jouer aux côtés d'Henry Fonda dans un film adapté d'une nouvelle de Ken Kesey, l'écrivain chantre du psychédélisme et futur auteur de "Vol au-dessus d'un nid de coucou", il s'enthousiasme pour l'intelligent mélange entre préoccupations sociales (grève des bûcherons) et réflexion sur l'instinct de survie familial face aux difficultés proposé par la nouvelle de Kesey. Sam Peckinpah et Budd Boetticher s'étaient un temps intéressés au projet, mais c'est Richard A. Colla, réalisateur de télévision, qui est choisi par Universal. Rapidement, des divergences de vue sur le traitement du sujet surviennent entre Newman et Colla, et le jeune réalisateur doit quitter le navire. Newman tente un moment de convaincre George Roy Hill avant de se résoudre à mettre le film en scène lui-même.
Tout à fait à l'aise avec le sujet, Newman filme sans apprêt, dans une veine parfois documentaire, la force de résistance frisant l'entêtement de cette fratrie de bûcherons qui refuse de s'associer à un mouvement de grève lié à la baisse des revenus toujours plus grande de la corporation. Les Stamper, avec à leur tête le patriarche Henry (Henry Fonda), conservateurs dans l'âme et aussi garants de l'esprit des pionniers de l'Ouest, acceptent de facto la lutte déséquilibrée qui s'engage. Dès lors, les journées de coupe dans les immenses forêts de l'Oregon deviennent le théâtre possible d'un "accident" mal venu. La tâche est encore compliquée par le retour imprévu de Leeland, le fils illégitime d'Henry (Michael Sarrazin), après de brillantes études, qui novice renforce les équipes.
Newman, aidé de son chef-opérateur Richard Moore, alterne avec bonheur les scènes grandioses où les arbres gigantesques tombent comme le symbole d'une Amérique qui vacille sur ses bases, et les scènes intimistes après le dur labeur où, insidieusement, les blessures enfouies ne demandent qu'à s'ouvrir à nouveau avec la présence de Leland dont le retour intrigue voire inquiète Hank (Paul Newman), le fils aîné. La caméra de Newman est alors en recherche de vérité sur les visages qui, subrepticement, trahissent les émotions. Toujours pudique, Newman montre, mais jamais ne s'attarde, laissant aux personnages leur part de secret et de dignité. Touché lui-même par le drame de son fils Scott en proie à la toxicomanie qu'il a longtemps cherché à tenir secret avant une overdose fatale en 1978, le réalisateur connaît bien le problème du père absent devenu une icône insurpassable.
Certaines scènes parfaitement maîtrisées sont de toute beauté, comme la confession de Viv Stamper (la femme d'Hank jouée par Lee Remick à la beauté encore intacte) à Leeland à propos de la méprise que fut son mariage, ou encore celle devenue célèbre de la mort du cousin Joe (Richard Jaeckel nommé pour l'Oscar du second rôle) coincé sous un énorme rondin de bois qui provoque sa noyade. L'entêtement égoïste du patriarche et la soumission de son fils aîné ont conduit ce clan d'irréductibles à l'implosion et à la mort, montrant une fois de plus que le repli sur soi confinant au mépris des autres, constitue une vision mortifère de l'existence.
"Le Clan des irréductibles" garde toute sa force malgré les ans qui passent, car son propos est intemporel. Quant à la mise en scène improvisée sur le vif de Paul Newman, particulièrement subtile et équilibrée, elle donne toujours à réfléchir.
Devant et derrière la caméra
"Le Clan des irréductibles" est le deuxième film de Paul Newman en tant que metteur en scène, et le premier dans lequel il est à la fois réalisateur et acteur (il ne jouait pas dans son premier long métrage "Rachel, Rachel"). Suivront "De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" (1972), "L'Affrontement" (1984) et "La Ménagerie de verre" (1987).
Du roman à l'écran
"Le Clan des irréductibles" est la première adaptation pour le cinéma d'un roman de l'écrivain américain Ken Kesey (1935-2001). Suivra, cinq ans plus tard, celle de son roman "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (1962), qui avait déjà été adapté au théâtre en 1963.
Lieux de tournage du "Clan des irréductibles" © Jesse Nickell
Oregon - 1971 vs 2022