titre original | "The Incident" |
année de production | 1967 |
réalisation | Larry Peerce |
scénario | Nicholas E. Baehr |
photographie | Gerald Hirschfeld |
musique | Terry Knight |
interprétation | Tony Musante, Martin Sheen, Beau Bridges, Brock Peters, Thelma Ritter, Gary Merrill |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Larry Peerce est un réalisateur de télévision, dont la carrière sur grand écran n’aura produit que trois films restés dans la mémoire des cinéphiles : "Le Procès de Julie Richards" (1964), "L’Incident" (1967) et "Un tueur dans la foule" (1972) qui, deux ans après "La Tour infernale" (1974), surfe sur la vague montante du film catastrophe.
"L’Incident", que l’on pourrait placer d’emblée dans la catégorie du cinéma vérité tellement son propos est violent, situé dans un cadre très réaliste et décrivant une situation de tension paroxystique dans les transports en commun, désormais courante en Europe, est bien plus que cela du fait de la savante construction scénaristique développée par Nicolas E. Baehr. Durant un long prologue est tout d’abord présenté un duo de petites frappes, interprétées par Tony Musante et Martin Sheen tout deux débutants, qui passent leurs dimanches soir à s’alcooliser pour ensuite terroriser le quidam qui passe à leur portée. Viennent ensuite plusieurs individus seuls ou en couple (seize personnes au total) qui, sans lien aucun, vont se rendre à 3h00 du matin vers une station de métro pour se retrouver par le plus grand des hasards dans la même rame. Un rapide portrait est brossé des huit groupes distincts à travers leur soirée de ce dimanche et les raisons qui les amènent à prendre le métro pour rentrer chez eux.
Tout ce petit monde réuni dans une même rame, le huis clos infernal peut commencer. Se trouve alors concentré, une sorte d’échantillon en taille réduite de la classe moyenne new yorkaise qui transporte avec elle une grande part des malaises de la société américaine des années soixante traversée par des mutations profondes tant économiques que sociétales (émeutes anti-racistes, guerre du Vietnam, traumatisme consécutif à l’assassinat du Président Kennedy, mouvement hippie et remise en cause de l’American way of life, revendications féministes et libération des mœurs…).
Les deux brutes qui surgissent dans la rame s’en prenant successivement à chacun des groupes vont servir de révélateur à l’individualisme et à la lâcheté qui tout au long du film vont se nourrir l’un de l’autre. Prenant progressivement conscience de ce qui se passe, l’élément dominateur du duo de tortionnaires interprété par Tony Musante va même se croire obligé d’appeler implicitement le groupe à la révolte en rappelant à ses membres qu’ils ne sont que deux face à huit fois plus nombreux qu’eux. Mais comme presque toujours dans pareil cas, les tensions et conflits internes qui paralysent les personnages vont prendre le pas sur l’union.
Larry Peerce a donc parfaitement orchestré sa mise en scène, privilégiant le noir et blanc à la couleur d’abord envisagée pour donner par la force du contraste plus d’intensité à l’action, tout comme il a demandé à son chef-opérateur Gérard Hirschfeld de saisir des plans volés dans le métro pour renforcer le réalisme de sa démonstration. Cette méthode sans doute un peu trop mécanique dans son déroulement n’enlève malgré tout rien au malaise ressenti par le spectateur qui, tout au long de ce long calvaire, se demande quelle aurait été sa réaction face à une telle situation.
On saluera les prestations de Tony Musante et de Martin Sheen, qui ont certainement dû aller chercher au fond d’eux-mêmes pour exprimer cette bêtise crasse et violente décuplée par l’alcool sans tomber dans ce qui pourrait assez vite passer pour du cabotinage. Heureusement, les deux jeunes acteurs restent toujours du bon côté de cette frontière ténue, même si celle-ci est souvent frôlée de près, notamment par Martin Sheen. À leurs côtés, on appréciera la performance des acteurs chevronnés que sont Thelma Ritter, Gary Merrill, Brock Peters ou encore Beau Bridges, qui incarne le seul rural de la bande qui va mettre fin à cette humiliation collective douloureuse.
Un demi-siècle après sa sortie, "L’Incident" n’a rien perdu de sa perspicacité au-delà d’un aspect formel aujourd’hui un peu dépassé.