titre original | "Cookie's Fortune" |
année de production | 1999 |
réalisation | Robert Altman |
scénario | Anne Rapp |
photographie | Toyomichi Kurita |
musique | David A. Stewart |
interprétation | Glenn Close, Julianne Moore, Liv Tyler, Charles S. Dutton, Chris O'Donnell, Patricia Neal, Ned Beatty, Lyle Lovett, Donald Moffat |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Robert Altman, né en 1925 à Kansas City (Missouri), est un homme du Midwest. Il a rendu en 1996 un hommage vibrant à sa ville natale avec un film au titre éponyme teinté de l'ambiance jazz des années 30. Avec "Cookie's Fortune", il descend encore un peu plus vers ce Sud, berceau du blues qui l'attire. Il s'appuie sur une trame policière assez simple construite autour d'un suicide maquillé en crime, pour s'attarder ensuite, comme il sait si bien le faire, sur le portrait d'une communauté qui vit en quasi autarcie.
On est souvent frappé, en regardant des films américains, par les écarts entre la vie trépidante dans les grandes mégapoles comme Los Angeles ou New York et celle qui s'écoule lentement dans les régions rurales, où la progression de la civilisation semble parfois avoir été rebutée par les distances à couvrir. On oublie souvent que les États-Unis sont grands comme 17 fois la France et qu'une telle immensité ne peut s'administrer selon le schéma centralisateur imaginé par Napoléon.
À Holly Springs, les blancs et les noirs ont appris à vivre ensemble dans un État (le Mississippi) autrefois esclavagiste, battant en brèche tous les clichés qui demeurent ancrés dans nos mentalités européennes imbibées des reportages à sensation qui nous arrivent quelquefois aux journaux télévisés sur la survivance des crimes racistes qui enflamment encore les grandes cités. C'est donc en totale confiance que Cookie, vieille dame excentrique jouée par la vétérane Patricia Neal, s'en remet à Willis Richland (Charles S. Dutton) pour l'assister au quotidien.
Quand elle décide d'aller rejoindre son époux dans les cieux, sa nièce Camille (superbement exaspérante Glenn Close) s'imagine sans doute, en maquillant le geste de sa tante en meurtre, que comme au bon vieux temps de la ségrégation, tout le monde va tomber sur le râble du pauvre Willis, qui fera pour l'occasion office de bon nègre de service. Trop sûre de son fait, elle ne prend aucune précaution pour éviter les soupçons.
Altman, toujours farceur et iconoclaste, fait ainsi un pied de nez aux films militants des années 50 et 60 de Norman Jewison ou Stanley Kramer avec Sidney Poitier ("Dans la chaleur de la nuit", "Devine qui vient dîner..."), pour montrer que les choses ne sont pas si manichéennes qu'elles ont été parfois présentées alors, même si le combat de l'époque imposait de forcer le trait. Au contraire, la petite communauté et notamment la police locale, souvent caricaturée par le cinéma américain, prend fait et cause pour Willis, dont la magnanimité et le dévouement sont appréciés de tous. S'il doit être conduit en prison, les portes en restent ouvertes, et Willis joue au Scrabble avec son avocat et son copain flic (Ned Beatty), qui explique tout benoîtement qu'un homme qui pêche avec lui ne peut pas être coupable. La vérité n'aura pas de mal à éclater après qu'Altman ait pris un plaisir évident à croquer tous ces portraits hauts en couleur qui font chaud au cœur et nous rappellent que les conflits entre les hommes sont aussi quelquefois le fruit de la manipulation de quelques-uns.
Un bon cru d'un cinéaste qui démontre ici qu'il n'avait rien perdu de sa verve à 74 ans.
À noter la présence rafraîchissante de Liv Tyler, la fille du chanteur du groupe américain de hard rock Aerosmith alors au zénith de sa courte gloire.
Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard
Dirigée de main de maître, l'équipe d'acteurs, du plus important au plus modeste emploi, est d'une homogénéité rarissime. Julianne Moore est Cora Duvall, quelque peu demeurée, totalement soumise aux décisions de sa sœur Camille, l'intellectuelle cupide qu'interprète Glenn Close. Aussi charmante que délurée, un brin canaille, cette Emma Duvall, sous les traits de Liv Tyler ; quant à Charles S. Dutton (Willis Richland dans le film), sa composition est aussi chaleureuse qu'amusante.
Présenté par certains comme un réjouissant vaudeville, par d'autres comme un comédie dramatique, "Cookie's Fortune" est, à coup sûr, inclassable ; force est d'admettre que Robert Altman se perd parfois dans des excès d'humour qui peuvent dérouter le plus indulgent des cinéphiles. Avec ses petit travers, ses clins d'œil, une certaine poésie, accompagnés par un blues aussi langoureux que l'atmosphère d'une intrigue au dénouement inattendu, le film, pour conclure, est un bon, un très bon Altman.
Scrabble
Willis Richland (Charles S. Dutton): "A-we". Triple word, that's it, I'm out.
Lester Boyle (Ned Beatty): "A-we"? A-we? A-we is not a word!
Jack Palmer (Donald Moffat): AWE, Lester, "awe". From Old Norse, derived from the reconstructed Indo-European base "Agh!" A combination of fear, reverence, and wonder.
Mississippi filming
"Cookie's Fortune" est le deuxième film de Robert Altman filmé dans l'Etat américain du Mississippi, après "Nous sommes tous des voleurs".