titre original | "Carol" |
année de production | 2015 |
réalisation | Todd Haynes |
scénario | d'après le roman "The Price of Salt" (1952) de Patricia Highsmith |
photographie | Edward Lachman |
musique | Carter Burwell |
interprétation | Cate Blanchett, Rooney Mara, Sarah Paulson |
récompense | Prix d'interprétation féminine pour Rooney Mara au festival de Cannes 2015 |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Tout à la fois grand admirateur de Douglas Sirk et Max Ophüls, et d’une manière plus générale du cinéma hollywoodien d’après-guerre, Todd Haynes tente régulièrement, en explorant le passé, de nous faire comprendre par quel chemin ont dû passer les homosexuels pour acquérir droit de cité au XXIe siècle. Le réalisateur, homosexuel lui-même, rend donc un hommage à ceux qui, avant lui, désirant vivre librement leur sexualité, ont subi les brimades infligées par une société inquiète de la possible subversion induite par le droit à la différence.
"Carol" navigue ainsi sur les mêmes eaux que le très beau et déchirant "Loin du paradis", nous plongeant cette fois dans le New York de 1953 pour une adaptation du deuxième roman de Patricia Highsmith, elle-même bisexuelle. Thérèse, une jeune vendeuse d’un magasin de jouets, devient la maîtresse de Carol, épouse d’un riche homme d’affaires. Cette passion, qui fait suite à une autre, emmène Carol jusqu’à un terrible chantage exercé par son mari qui entend profiter des lois répressives envers les homosexuels pour lui retirer la garde de sa fille.
Au-delà des barrières qui se dressent devant Carol, dont l’inclinaison sexuelle semble depuis longtemps affirmée, Haynes met à jour le rapport de classe entre les deux femmes, dont l’appréhension de la vie est forcément teintée de leur rapport à l’argent. Carol, qui a plus à perdre, est paradoxalement moins détachée et moins libre que Thérèse quand, progressivement, les sentiments la rendent plus vulnérable. Une dimension du cinéma du réalisateur souvent estompée par les tensions sexuelles et morales qui l’habitent et qu’il convient donc de souligner, car déjà présente dans "Loin du paradis", mais aussi dans "Mildred Pierce", son adaptation sous forme de mini-série TV du roman éponyme de James M. Cain.
Somptueux visuellement, car formidablement mis en lumière par Edward Lachman, fidèle opérateur de Haynes, "Carol" réussit une immersion parfaite dans l’Amérique compassée de cette époque dont les toiles d'Edward Hopper nous renvoient si bien l’immobilisme d'une société misant tout sur la consommation.
Toutefois un peu glacé, le film ne nous éclaire pas réellement sur la naissance de la pulsion lesbienne chez Thérèse et occulte un peu trop facilement le fait que le mari de Carol, homme de son époque, a été, d’une certaine manière, dupé par son épouse qui connaissait depuis très longtemps sa propre orientation sexuelle. Le dénouement du film avec l’entrevue chez le juge corrige un peu cet oubli, donnant l’occasion à Haynes d’une issue heureuse à cet amour impossible. Le cinéaste cinéphile profite des émouvantes retrouvailles finales pour nous offrir en dernier plan une Rooney Mara transformée, sosie troublant de la jeune Elizabeth Taylor de cette époque.
Formidable directeur d’acteurs, Haynes, très inspiré par son sujet, parvient à rendre crédible l’assemblage de ces deux formidables actrices qu’a priori tout oppose. On connaissait déjà l’immense talent de Cate Blanchett, qui sait tirer tout le parti de son physique alternativement androgyne et féminin pour incarner cette grande bourgeoise passant de prédatrice à victime. Quant à la toute jeune Rooney Mara, sa lumineuse prestation à la hauteur de l’ambiguïté de son personnage a été justement récompensée du Prix d’interprétation à Cannes en 2015.
♦ Article consacré à "Carol" (critique) : L'anti-Adèle