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"La Ballade de Buster Scruggs"

La ballade de Buster Scruggs - affiche

titre original "The Ballad of Buster Scruggs"
année de production 2018
réalisation Joel Coen et Ethan Coen
scénario Joel Coen et Ethan Coen
photographie Bruno Delbonnel
musique Carter Burwell
interprétation Tim Blake Nelson, Clancy Brown, James Franco, Liam Neeson, Tom Waits, Brendan Gleeson, Saul Rubinek
récompense Prix du meilleur scénario au festival international du film de Venise 2018

La critique de Didier Koch pour Plans Américains

"La Ballade de Buster Scruggs", le 19e film des frères Coen, devait à l’origine être une série qui s’est transformée rapidement en film à sketches. Malheureusement, sa production par Netflix lui a pour le moment interdit toute sortie en salle et en vidéo. On peut sincèrement s’interroger sur cette démarche de la plate-forme, qui propose des budgets confortables à des réalisateurs prestigieux comme les frères Coen ou Martin Scorsese ("The Irishman") pour ensuite les priver de la projection en salle, qui reste encore le meilleur support pour une première diffusion au public. Espérons que cette stratégie dont on perçoit bien la visée ne fera pas école.

"La Ballade de Buster Scruggs" est en réalité le titre du premier sketch. Un livre illustré d’époque s’ouvre devant le spectateur, précédé de sa feuille transparente destinée à préserver les couleurs de l’illustration qui sera dans le film celle qui clôt chacune des petites histoires que nous content les frères Coen réalisant, après "True Grit" (2010), leur deuxième western.

Si on retrouve avec plaisir la verve créatrice et iconoclaste des deux frères, celle-ci est ici mise au service d’une description minutieuse et démystificatrice de chacune des légendes de l’Ouest, qui ne néglige pas les clins d’œil à certains films légendaires du genre. L’as de la gâchette, tout d’abord, qui tel Jesse James, Billy The Kid, Wyatt Earp, Tom Horn ou Wild Bill Hickok, passe toute sa vie avec sa photo barrée d’un « Wanted dead or alive » placardée sur toutes les portes de saloon, mais aussi avec une cible sur la poitrine que tous les ambitieux rêvent d’épingler à leur veste pour entrer dans cette grande roue infernale de la mort violente et gratuite. Buster Scruggs, haut comme trois pommes à genoux, incarné par Tim Blake Nelson, c’est Dustin Hoffman qui, cinquante ans plus tôt, faisait de même dans "Little Big Man" d’Arthur Penn. Le sketch, très drôle, est aussi un hommage aux cartoons nonsensiques de Tex Avery.

"Près d’Algodones", avec James Franco en condamné qui n’arrive pas à mourir, brocarde la justice expéditive qui régnait dans un Ouest, où il valait mieux savoir se défendre. Tropisme qui conduira à la toute-puissance de la NRA (National Rifle Association), dont on connaît l’influence néfaste sur le comportement social aux États-Unis.

"Ticket Repas", avec Liam Neeson en « bonimenteur taiseux » qui se contente d’exposer un jeune infirme (sans bras, ni jambes) récitant à des spectateurs médusés des vers de Shakespeare, pourrait faire penser une fois encore à "Little Big Man" ou à tous les autres westerns utilisant la figure sympathique de l’escroc cherchant à vendre ses élixirs frelatés. Mais la mine patibulaire de Liam Neeson et le visage déchirant d’Harry Melling ainsi que la fin tragique marquent assurément de la part des frères Coen un hommage au fameux "Freaks" (1932) de Tod Browning.

"Gorge Dorée" nous transporte dans les prémisses de la ruée vers l’or avec un Tom Waits barbu et dépenaillé qui, pour son retour à l’écran, se met dans la peau d’un lointain cousin de Walter Huston dans "Le Trésor de la Sierra Madre" (John Huston en 1948). Ce sketch à dimension écologique rappelle les ravages de l’exploitation minière par contraste avec la splendeur de la vallée encore vierge avant que le vieux chercheur d’or ne vienne la souiller de ses forages artisanaux.

"La fille qui fut sonnée", dont la durée est la plus longue, emprunte le mythe des longs convois de côlons qui cherchaient toujours plus à l’Ouest, l’Eden promis par ce si vaste pays. Une jeune femme (Zoe Kazan, petite fille du réalisateur Elia Kazan) en paiera le prix fort qui, après avoir entrevu l’amour et la constitution d’un foyer, aura le tort de s’écarter du convoi.

Enfin, "Les Restes mortels", sorte de "Boule de suif" westernien, qui prolonge le mythe de la diligence qui ne conduit pas toujours à la destination attendue.

Film référentiel qui balaie de manière drolatique, mais aussi parfois tragique, tout un pan de l’histoire des États-Unis qui ont dû se construire sur le mensonge transformé en légende pour tenter de gommer de l’inconscient collectif, le massacre de la population autochtone, "La Ballade de Buster Scruggs" est assurément un très bon cru des deux frères qui, aidés de leur chef-opérateur Bruno Delbonnel, se sont comme toujours évertués à livrer une esthétique complétement immersive.

Couverture du numéro de printemps 2019 du magazine Cineaste

La ballade de Buster Scruggs - affiche

La ballade de Buster Scruggs - générique