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"Taking Off"

Le premier film américain du tchèque Miloš Forman

Taking Off - affiche

titre original "Taking Off"
année de production 1971
réalisation Miloš Forman
scénario Miloš Forman et Jean-Claude Carrière
interprétation Lynn Carlin, Buck Henry, Linnea Heacock, Kathy Bates
récompense Grand prix spécial du jury au festival international du film de Cannes 1971

Critique extraite du Guide des films de Jean Tulard

Satire un peu lourde des rapports parents-enfants dans l'Amérique de la guerre du Viêtnam et de la contestation.

L'Amérique des ados hippies vue par Milos Forman : article d'I. Regnier du Monde, juillet 2010

Devant la caméra, des jeunes gens se succèdent pour interpréter, plutôt très mal, une chanson de leur choix. S'ils ne portaient pas des chemises à fleurs, s'ils n'avaient pas ces cheveux longs et ces yeux perdus dans le vide caractéristiques de la génération du Summer of love, on les confondrait avec des candidats au casting de la "Nouvelle Star".

Rencontrés par Milos Forman et Jean-Claude Carrière à New York, autour de l'appartement qu'ils avaient loué, en 1968, à St Marks Place, point névralgique du mouvement hippie, ces garçons et ces filles ont offert leurs visages et leurs voix éraillées au cinéaste tchèque Milos Forman pour "Taking Off", son premier film américain, qui ressort en France le 14 juillet. Sous forme de vignettes, leurs apparitions ponctuent le film et lui donnent sa tonalité si particulière, à la fois émouvante et extraordinairement comique.

« C'est le seul film qui ait été réalisé sur le mouvement hippie pendant qu'il se déroulait », affirme Jean-Claude Carrière, qui s'est prêté à une interview pour l'occasion. « Janis Joplin venait souvent chez nous à l'époque. Elle est morte cinq mois après la fin du tournage, C'était déjà la fin. » Inspiré du phénomène des runaway kids, ces adolescents qui quittaient leurs familles pour rejoindre le mouvement à la fin des années 1960, "Taking Off" apparaît comme une satire sociale grinçante et tendre à la fois, en même temps qu'un document saisissant sur l'Amérique de l'époque.

Produit par les studios Universal, alors désireux d'exploiter le filon des petits films libres et pas chers qui faisaient le succès du Nouvel Hollywood naissant, le projet résulte d'une idée avortée de Claude Berri. De retour de Londres où il avait vu "Hair" au théâtre, le producteur français avait proposé à Milos Forman d'en faire une adaptation pour le cinéma. Berri échoua à obtenir les droits, mais l'idée d'un film sur les hippies fit son chemin, et le cinéaste tchèque (qui réalisera finalement "Hair" en 1979) s'installa à New York au début de l'année 1968 pour s'y atteler. Jean-Claude Carrière le rejoignit en mars.

Les deux hommes s'étaient rencontrés deux ans plus tôt dans un festival, étaient devenus amis, et Milos Forman s'était installé à Paris, chez Jean-Claude Carrière. « Nous ne connaissions pas New York. Nous sommes arrivés au moment de l'assassinat de Martin Luther King, des émeutes de Harlem... On est tombés dans une tribu totalement nouvelle, des jeunes gens partis de chez eux, qui parlaient un langage inconnu, fumaient des substances inconnues, ne bougeaient pas... Tout le monde couchait avec tout le monde, c'était sidérant. Mais nous étions prudents : nous faisions très attention à ne pas coucher avec des "underaged" ("mineurs"), nous savions que cela risquait de nous causer de graves problèmes avec la justice. »

La singularité de "Taking Off" tient, entre autres, au point de vue des auteurs, qui se sont concentrés sur un couple de parents d'enfants fugueurs plutôt que sur leur progéniture. De fait, Jeanny, l'héroïne, est quasiment absente du film. Elle le traverse comme un fantôme, par flashs, au gré des retours au bercail qu'elle effectue entre deux fugues. À l'image de Linnea Heacock en somme, la jeune actrice qui lui prête ses traits, que les auteurs avaient rencontrée à Central Park et qui a disparu de la circulation sitôt le film fini.

« Nous avions 36-37 ans, c'est-à-dire plutôt l'âge des parents », explique Jean-Claude Carrière. « Nous avons voulu faire un film sur l'absence. She's leaving home, une très belle chanson des Beatles sur le thème des runaway, nous a accompagnés pendant le processus d'écriture. »

Confrontés à la disparition de leur fille, les parents - un employé de bureau en pleine crise de la quarantaine et son épouse, une femme au foyer pincée - voient vaciller les certitudes sur lesquelles ils ont construit leur vie. Au fil de leur découverte de la culture hippie, ils en viennent à s'adonner aux plaisirs transgressifs de la drogue et de la libération du corps.

Après une interruption de plusieurs mois - au cours desquels Forman et Carrière ont assisté, en 1968, à l'annulation du festival de Cannes où ils devaient présenter "Au feu les pompiers !", puis à la répression du "printemps de Prague" par les chars soviétiques -, l'écriture a repris à New York. Les deux hommes se sont beaucoup documentés et, à partir de cette base qui donne au film sa facture très réaliste, s'en sont donné à cœur joie pour propulser certaines scènes vers des sommets d'humour barjot.

Prix spécial du jury à Cannes en 1971, "Taking Off" fut un succès en Europe, mais passa inaperçu aux États-Unis. Pour Forman, la reconnaissance par son pays d'adoption viendra avec son film suivant, "Vol au-dessus d'un nid de coucou".

Miloš Forman sur le tournage de "Taking Off"
Couverture du numéro 64 de la revue de cinéma Éclipses (juin 2019)

Taking Off - générique