Six pieds sous terre
titre original | "Six Feet Under" |
année de production | 2001–2005 |
création | Alan Ball |
scénario | Alan Ball |
musique | Richard Marvin |
interprétation | Peter Krause, Michael C. Hall, Frances Conroy, Lauren Ambrose, Freddy Rodríguez, Mathew St. Patrick, Rachel Griffiths |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Avec "Les Sopranos", "The Wire", "Deadwood" et quelques autres séries sorties au détour des années 2000, "Six Feet Under" fait incontestablement partie des symboles emblématiques de ce que l’on nomme désormais le nouvel âge d’or des séries américaines.
Produite par HBO, "Six Feet Under" a été créée par Alan Ball, déjà auteur du fameux "American Beauty" réalisé par Sam Mendes en 1999, pour lequel il avait reçu l’Oscar du meilleur scénario (cinq Oscars majeurs avaient récompensé le film). En 63 épisodes répartis sur 5 saisons, "Six Feet Under" poursuit en quelque sorte la mécanique déjà à l’œuvre dans "American Beauty", visant à explorer, en les poussant à leur paroxysme, les atermoiements existentiels des membres d’une famille dysfonctionnelle.
Les fondements de départ de la série sont tous très convaincants. Le contexte tout d’abord, parfaitement inédit, d’une famille (Fisher) à la tête d’une entreprise de pompes funèbres, dont le père fondateur (Richard Jenkins) vient de mourir et qui va devoir tenter de survivre à cette disparition dans une demeure, certes vaste, mais ayant l’étrange particularité d’être située juste au-dessus de la chambre funéraire. Ensuite, le gimmick iconoclaste et déroutant qui en découle, voulant que chaque épisode commence par la mort d’un des futurs clients de la famille Fisher, dont les préparatifs de la cérémonie vont rythmer l’intrigue, y compris jusque dans les travaux d’embaumement. Puis, le caractère des personnages, tous à la recherche de leur identité, et qui vont devoir passer par des montagnes russes permanentes pour tenter de la saisir.
Enfin, les acteurs, tous formidables, qui disposent de 63 épisodes pour habiter au mieux leurs personnages. Parmi eux, on retiendra tout spécialement le formidable Michael C. Hall, qui deviendra juste à la suite l’inoubliable Dexter dans la série du même nom ; Rachel Griffith, actrice australienne déjà aguerrie que l’on avait découverte dans "Muriel" de P.J Hogan (1994) ; Frances Conroy, actrice confirmée, habituée aux séries télévisées ; Peter Krause, jusqu’alors second rôle plutôt anonyme, qui se révèle ici au grand jour, mais qui ne confirmera pas par la suite ; et la toute jeune Lauren Ambrose qui, elle aussi, profite à plein de la série pour montrer l’étendue de son talent. Pour écrin, le générique, qui ne lasse jamais d’intriguer, et la bande son, qui puise largement dans ce qui se faisait de mieux à l’époque.
Dans un premier temps, Alan Ball, aidé de six autres scénaristes, profite parfaitement de chacun des cinq membres de la famille Fisher pour explorer des thèmes tout à la fois universels et spécifiques de la société américaine contemporaine. Nathaniel Fisher (Peter Krause) est le fils aîné installé à Seattle qui, revenant à Los Angeles pour l’enterrement de son père, se voit presque contraint par héritage de reprendre avec son frère l’entreprise familiale. D’une personnalité plutôt instable, il tentera en vain de se trouver une ligne de conduite directrice que sa faiblesse de caractère viendra en permanence contrarier. Une grave lésion cérébrale, qui planera comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, n’arrangera pas les choses. David Fisher (Michael C.Hall), le fils cadet, est celui qui constitue l’élément stabilisateur de la famille, mais son homosexualité, tout d’abord refoulée, et le couple tumultueux qu’il forme avec Keith (Matthew St Patrick) viendront perturber un équilibre plus précaire qu’il n’y paraissait. Claire (Laureen Ambrose), la jeune sœur, se rêve artiste engagée sans jamais réellement se rendre compte du statut privilégié qui est le sien, d’appartenir à une bourgeoisie nantie lui permettant de vivre toutes ses expériences artistiques, sexuelles et lysergiques et de pouvoir continuer à contempler son nombril sans trop se soucier du lendemain. Ruth (Frances Conroy), la mère plutôt rigide et campée sur ses principes, va voir tout son univers mental basculer à la suite du décès de son époux, pour l’amener à vivre des expériences de toute nature à mille lieux de ses certitudes initiales.
Harmonieusement, Alan Ball agrège aux cinq membres de la famille Fisher des personnages secondaires construits à dessein pour mettre en avant les aspects de la personnalité des Fisher qu’il souhaite développer au gré des épisodes et des saisons. Omniprésente, la sexualité, montrée avec une crudité que l’on n’avait sans doute jamais vue au sein d’une série télévisée, est au centre des préoccupations de chacun des personnages, qui interagissent le plus souvent en fonction de leurs pulsions assumées ou refoulées. Les thématiques sociales ou politiques, notamment anti-républicaines (nous sommes en pleine ère Bush), sont certes présentes, mais tout de même marginales.
La mécanique semble donc parfaitement huilée et fonctionne à plein sur les deux premières saisons. Mais Alan Ball s’est pris au piège de la facilité, n’ayant pas anticipé qu’au-delà de la sympathie initiale qui se dégage de ses personnages, leurs comportements répétitifs finiraient par les rendre agaçants, renvoyant sans doute un peu trop à la figure du spectateur sa propre incapacité à s’extraire de ses névroses. Sans parler de l’ennui qui gagne à force d’une prévisibilité comportementale exaspérante. Le constat final assez navrant nous rappelle que changer s’avère le plus souvent une tâche insurmontable pour chacun d’entre nous.
"Six Feet Under" est certes une très bonne série, mais qui se révèle un peu surévaluée quand on la visionne pour la première fois vingt ans après sa sortie. Son principal défaut : placer le spectateur comme ses personnages dans la roue du hamster. La dernière saison, avec sa conclusion tant vantée mais un peu surfaite, tourne presque au supplice chinois. Ce qui est un comble si l’on repense au plaisir procuré par les deux premières saisons.