titre original | "Quills" |
année de production | 2000 |
réalisation | Philip Kaufman |
scénario | Doug Wright, d'après sa propre pièce de théâtre "Quills" |
photographie | Rogier Stoffers |
musique | Stephen Warbeck |
interprétation | Geoffrey Rush, Kate Winslet, Joaquin Phoenix, Michael Caine |
Extrait de la chronique de Bertrand Tavernier du 18 février 2013
"Quills, la Plume et le Sang" de Philip Kaufman traite des derniers jours du Marquis de Sade, de ses efforts pour écrire malgré l’emprisonnement, pour monter des pièces avec la complicité de l’Abbé Coulmiers (ce qui est exact), tels que les revisite, prenant un peu moins d’égards avec l’Histoire que Sade n’en prend avec le personnage de Kate Winslet, le dramaturge Doug Wright qui adapte ici sa pièce, mélange de farce noire à la Audiberti, de satire caustique du puritanisme et de plaidoyer pour la liberté d’expression. Inutile de se formaliser devant les « erreurs historiques » (Sade ne s’est jamais fait couper la langue et Wright confond le Royer Collard doctrinaire avec son frère médecin qui, lui, défendit le Marquis), on nous prévient d’emblée que le ton ne vise pas le réalisme ni la vraisemblance. Il n’est que de penser à Madeleine, cette lingère qui apprécie tellement les écrits les plus sulfureux de Sade qu’elle les propage en cachette pour qu’ils soient édités, tout cela sans perdre sa virginité, et que l’interprétation gracieuse et inspirée de Kate Winslet (avec un léger accent cockney) parvient à rendre plausible, touchante, au point d’en faire l’un des atouts du film. C’est un régal que de l’entendre dire du Sade, la voir jouer avec un Geoffrey Rush qui s’est passionné pour son personnage, affrontant tous les défis physiques et émotionnels, ne cherchant jamais la sympathie. Tous deux flirtent avec les difficultés, les équivoques, les évitent brillamment, tout comme Michael Caine, toujours impeccable en puritain rétrograde, qui soigne les perversions par la violence et ne voit pas que sa très jeune femme le cocufie. Kaufman, brillant directeur d’acteur, déclara à de nombreuses reprises qu’il s’était inspiré de Kenneth Star, le procureur qui poursuivit Clinton. C’est d’ailleurs là où le bât blesse. Kaufman et Wright transforment le Marquis en un martyr de la liberté d’expression, une victime de la censure (même s’ils ne cachent pas ses vices) et leur film lorgne vers le "Larry Flynt" de Forman. Leur Sade est beaucoup moins philosophe que celui que joua Daniel Auteuil sous la direction talentueuse de Benoît Jacquot. Toute une partie du personnage passe un peu à l’as ou n’est évoquée qu’à travers quelques répliques brillantes ou audacieuses même si le réalisateur rajoute, pour aérer le récit, une séquence d’introduction assez lourde qui évoque les ravages de la Terreur, avec des cadrages signifiants, et que Sade regarde par la fenêtre comme s’il était le prophète ou le produit de cette barbarie. C’est d’ailleurs quand Kaufman essaie de faire cinéma qu’il est le moins convaincant.