titre original | "Across 110th Street" |
année de production | 1972 |
réalisation | Barry Shear |
scénario | Luther Davis, d'après le roman "Across 110th" de Wally Ferris |
photographie | Jack Priestley |
musique | J.J. Johnson |
interprétation | Anthony Quinn, Yaphet Kotto, Anthony Franciosa, Richard Ward, Antonio Fargas |
La critique de Didier Koch pour Plans Américains
Depuis le début des années 1960, Anthony Quinn, qui était encore à l’époque le mari de la fille du très influent Cecil B. DeMille, s’était lancé dans la production. Sa carrière y sera courte (quatre films), mais tout à fait intéressante, car elle verra l’acteur, qui joue dans chacun de ses films, être à l’origine de "Zorba le Grec" de Michael Cacoyannis en 1964, suivi de "Meurtres dans 110e Rue" réalisé en 1972 par Barry Shear, réalisateur plutôt spécialisé dans les téléfilms et les séries.
L’histoire écrite par Barry Shear lui-même ambitionne de proposer, dans le cadre d’un film policier, une description sans fard du délabrement de la ville de New York, et plus particulièrement du quartier de Harlem, le tout sur fond de tension raciale. Quinn, qui interprète un flic arrivé en bout de course et toujours sur la corde raide, que ce soit au niveau des méthodes musclées qu’il adopte, du racisme qu’il exprime ouvertement ou encore d’une probité douteuse, ne songeait pas initialement jouer dans le film, pensant tout d’abord à John Wayne, puis à Kirk Douglas et enfin à Burt Lancaster. Les désistements successifs l’ont convaincu d’endosser ce rôle difficile et ingrat. Bien lui en a pris, trouvant le ton juste et dégageant suffisamment d’humanité pour parvenir à racheter ce flic usé par plus de trente ans à côtoyer la pègre dans ce qu’elle peut avoir de plus violent sans le soutien des autorités aux abonnés absents ou pire corrompues.
La 110e Rue est justement celle qui délimite la frontière entre Harlem et les beaux quartiers où Barry Shear ne placera sa caméra que pour une seule scène dans laquelle un ponte de la mafia italienne est prévenu que trois jeunes délinquants noirs viennent de braquer un atelier de blanchiment d’argent sale, mettant la main sur 300 000 dollars et tuant deux policiers plus quatre de ses hommes dont deux étaient membres de la famille. C’est Nick di Salvio (Anthony Franciosa), son gendre, bellâtre tardant à faire ses preuves pour sortir de son statut d’homme de main, qui se voit confier la mission de remettre de l’ordre au plus vite afin que les limites du territoire qui séparent les gangs noirs de la mafia italienne restent ce qu’elles sont. Barry Shear, associé à la production, tout comme Fouad Said aux compétences de chef-opérateur reconnues, cherchent à rendre de manière la plus fidèle possible l’atmosphère poisseuse qui règne alors dans le quartier. Pour obtenir ce résultat, ils exigeront que l’ensemble des scènes soient filmées en décors naturels, faisant preuve d’innovation technique grâce à l’apport précieux de Fouad Said.
Le résultat est saisissant de réalisme tout en conservant l’efficacité narrative des films policiers de cette période bénie du cinéma américain. Le tout rythmé par la musique funk de J.J Johnson et les chansons de Bobby Womack, a d’emblée conduit les critiques à dresser un parallèle avec les films de la blaxploitation sans toutefois que l’on y détecte l’auto-dérision et l’érotisme inhérents au genre. Le film évite en effet les agréments narratifs faciles consistant à inclure des intrigues secondaires mettant en avant les us et coutumes régissant les différents clans. Shear ne dévie jamais de sa route après avoir clairement exposé la situation en moins de quinze minutes. Un second couteau ayant épousé la fille d’un parrain et n’arrivant pas à endosser un costume trop grand pour lui se retrouve dos au mur pour ce qui ressemble fort à une dernière chance. Un flic usé et vieillissant constate amèrement qu’un jeune flic noir (Yaphet Kotto) et plus diplômé va lui disputer sa place. Le chef du gang noir (Richard Ward) régnant sur une partie de Harlem va tenter de profiter de la situation pour semer la zizanie entre ses rivaux italiens dont il ne supporte plus le mépris et la suffisance.
L’ensemble est porté par une direction d’acteurs parfaitement maîtrisée, voyant Anthony Quinn mettre en sourdine son penchant naturel au cabotinage, un Yaphet Kotto droit comme un I, un Richard Ward goguenard sorte de gros matou patelin mais aux griffes parfaitement acérées et surtout un Anthony Franciosa trop souvent mésestimé à cause de son physique de playboy au sourire éclatant, absolument génial en gigolo parvenu au sommet, prêt à tout pour gravir enfin une marche trop haute pour lui. On notera aussi la courte prestation mais complétement déjantée d’Antonio Fargas, futur « Huggy-les-bons-tuyaux » de la série "Starsky et Hutch".
Une carrière très discrète donc pour Barry Shear, qui aura su profiter de l’occasion qui lui était donnée pour réaliser un film réaliste, âpre et violent, rendant parfaitement compte du New York des années 1970 qui a su se frayer un chemin jusqu’à nos jours, pour jouir désormais d’une réputation très solide auprès des cinéphiles, tout juste en-dessous des "French Connection" (1971) de William Friedkin, "Les flics ne dorment pas la nuit" (1972) de Richard Fleischer, "Les Pirates du métro" (1974) de Joseph Sargent ou encore de "The Offence" (1973) de Sidney Lumet. Les cinq films, avec d’autres non cités, sortis sur les écrans en moins de quatre ans. Glorieuse époque !
La chanson-titre du film
"Across 110th Street" est un single de Bobby Womack. La chanson reçut un regain d'attention lorsqu'elle fut mise en avant dans le film "Jackie Brown" de Quentin Tarantino en 1997, puis dans "American Gangster" de Ridley Scott en 2007.