
| titre original | "Shattered Glass" |
| année de production | 2003 |
| réalisation | Billy Ray |
| scénario | Billy Ray, d'après un article de Buzz Bissinger (écrit sous le nom de H.G. Bissinger) |
| photographie | Mandy Walker |
| musique | Mychael Danna |
| production | Craig Baumgarten, Tove Christensen, Gaye Hirsch et Adam Merims |
| interprétation | Hayden Christensen, Peter Sarsgaard, Chloë Sevigny, Rosario Dawson |
Extrait de la chronique du 18 février 2013 de Bertrand Tavernier
"Le Mystificateur" : chronique d'un scandale qui secoua en 1998 The New Republic, un hebdomadaire de prestige (« le plus brillant et le plus impudent, » disait Vanity Fair), progressiste, de centre gauche et qui pourtant soutint Reagan et les deux guerres du Golfe et du coup toute la presse américaine « sérieuse ». On découvrit que l’un des jeunes prodiges de la rédaction âgé de 25 ans (la moyenne d’âge était de 26), Stephen Glass, avait totalement bidonné, inventé au moins 27 reportages sur 41. En s’attaquant pour son premier film, 5 ans après, à un tel sujet, ce qui fait preuve d’une grande ambition, le scénariste réalisateur Billy Ray réussit l’un des meilleurs films sur le journalisme, l’un des plus intelligents et des mieux joués. Le biais qu’il a choisi lui permet d’éviter les thèmes les plus ressassés par le cinéma (soumission de la presse devant le pouvoir, corruption, engagement démocratique ou réactionnaire) pour s’attacher à l’éthique, au fondement du travail journalistique : fiabilité des sources, qualité du travail d’investigation. Comme disait Bob Woodward : « le principal ennemi du journaliste, ce n’est pas son rédacteur en chef ni la censure, c’est l’information ». Stephen Glass prenant le contrepied de cet adage, décide de la forger, de l’inventer de toutes pièces. « Le journalisme, c’est l’art de saisir un comportement », dit-il à des élèves, dans la première scène, réplique qui prend peu à peu son vrai sens au fur et à mesure de la progression dramatique. Il a en effet « saisi » un comportement, le sien, l’a modelé en véritable acteur pour pouvoir imposer ses fables, ses mensonges. Il a aussi senti ce que désiraient ses supérieurs et leur a donné ce qu’ils voulaient entendre, ce qui élargit le propos (le film fait juste l’impasse sur la détestation de Michael Kelly, le premier rédacteur en chef, envers Clinton mais capture néanmoins ce climat de mensonges qui imprégnait la politique américaine de l’époque). Le choix d’Hayden Christensen pour interpréter Glass, se révèle très intelligent, très payant. Quand sa candeur naïve et onctueuse, son humilité feinte, la sympathie qu’il dégage, qui dérangent au début mais expliquent son succès, commence à se fissurer, un vrai sentiment tragique s’installe. Et son personnage devient à la fois gluant et vulnérable, notamment dans toutes les séquences remarquables qui l’opposent à un formidable et subtil Peter Sarsgaard qui joue Chuck Lane, le rédacteur qui le démasque. Toute l'interprétation est d'ailleurs de premier ordre avec de nombreux contre emplois : Chloë Sevigny, parfaite rédactrice, Rosario Dawson à qui on ne demande pas d'exhiber sa sexualité, Hank Azaria. Billy Ray a su créer, avec toute une série de scènes se déroulant dans des bureaux, une tension dramatique plus forte que dans beaucoup de thrillers, de films d'action contemporains. Après ce coup d’éclat trop méconnu en France, Billy Ray a réalisé "Breach" ("Agent double"), passionnant film d’espionnage (basé sur une histoire vraie), magnifiquement joué par le génial Chris Cooper (en espion bigot, cassant, obsédé sexuel qui se révèle une des plus grands traîtres de l’histoire américaine) qui évoque l’univers de Graham Greene, dans ses implications morales qui sont proches du premier film. Il est redevenu scénariste notamment de "Captain Phillips", le dernier Paul Greengrass sur les pirates somaliens. À noter qu’après la sortie du film, plusieurs scandales similaires ébranlèrent certains quotidiens, notamment le New York Times, donnant raison à Billy Ray.