titre original | "House of Cards" |
année de production | 2013-2017 |
création | Beau Willimon |
scénario | d'après la mini-série britannique (1990) et le roman de Michael Dobbs (1989) |
musique | Jeff Beal |
interprétation | Kevin Spacey, Robin Wright, Michael Kelly, Kate Mara, Corey Stoll |
Les critiques de Didier Koch pour Plans Américains
Première saison (2013)
La réputation de qualité des séries américaines n'est plus à démontrer, même si elle est parfois un peu surestimée. Kevin Spacey alias "Keyser Söze" chez Bryan Singer dans le mythique "Usual Suspects" (1995), puis criminel psychopathe machiavélique dans le non moins célèbre "Seven" de David Fincher (1995), retrouve, près de vingt ans plus tard avec Frank Underwood, député démocrate sans scrupule, un rôle tout aussi marquant qu'il a eu tout le loisir de faire évoluer sur les cinq saisons de la série "House of Cards". Une série inspirée par son homologue anglaise que le scénariste Beau Willimon étoffe et surtout adapte au contexte américain.
La première saison, produite entre autres par David Fincher et Kevin Spacey pour le compte de la chaîne télévisée Netflix qui se lance dans sa première série originale, situe le contexte et surtout forge l'image des personnages principaux. On suit donc la trajectoire d'un couple politique charismatique comme en connaît ces dernières décennies la politique américaine dans le camp démocrate (les Clinton, les Obama). Frank Underwood est à la chambre des représentants le whip du parti démocrate, celui qui est en charge d'animer les élus et de veiller à ce que le Président en place ait à sa disposition les majorités utiles pour ses projets de lois. Avec sa femme Claire (Robin Wright), ils ont passé un pacte pour gravir autant de marches que possible vers le sommet. Les choses commencent mal pour Frank, qui se voit refuser le poste ministériel qui lui était promis. Il doit alors envisager un autre plan pour continuer sa progression. C'est le poste de vice-président qu'il va désormais s'employer à conquérir.
Chaque épisode de la série est mis en scène par une pointure du grand écran ou par des réalisateurs rompus au format des séries. David Fincher ouvre le bal, suivi de James Foley, Joel Schumacher et Carl Franklin.
On est certes dans un schéma classique de suspense politique désormais décliné dans chaque pays du monde occidental selon les mœurs locales ("Borgen", "Baron noir" ,"Les Hommes de l'ombre"), mais "House of Cards" apporte une touche de dérision assez inédite grâce au recul permanent dont fait preuve Frank Underwood qui interpelle régulièrement le spectateur par un regard complice face caméra pour expliquer les manœuvres qu'il déploie ou se moquer cyniquement de ses adversaires. Dans cet exercice, Kevin Spacey est impayable, adoptant selon le cas un regard patelin à mi-chemin entre celui d'Hitchcock lors de ses célèbres introductions des épisodes de sa série "Hitchcock présente" et celui attristé du petit chien Droopy sorti tout droit de l'imagination fertile du grand Tex Avery. Ce contact privilégié du héros avec le spectateur explique sans doute la popularité de la série, qui ne s'est jamais démentie au cours des cinq premières saisons.
Au-delà de la fiction qui nous occupe très agréablement, on constate une fois de plus que l'essentiel de l'énergie des hommes politiques, qu'ils soient américains, français ou autres, est essentiellement tournée vers la conquête du pouvoir et qu'à ce titre, tous les coups, même les plus tordus, sont permis. Tout ceci est passionnant décliné en séries télévisées, mais prend un tour tragique et inquiétant quand on songe que la fiction n'est pas très loin de la réalité. Le scénario parfaitement calibré est suffisamment habile pour varier les plaisirs et ne jamais s'appesantir sur les péripéties qui se succèdent afin de ne pas lasser un spectateur toujours prompt à zapper au sein de l'univers foisonnant des séries US.
Une première saison qui met en appétit, Frank Underwood n'ayant pas hésité, sur les treize épisodes, à se salir les mains et surtout celle de son plus proche collaborateur Doug Stamper (Michael Kelly) afin de prendre la place du vieux vice-président en place. Ne doutons pas que son chemin, même semé d'embûches, ne s'arrêtera pas là.
Deuxième saison (2014)
La première saison de "House of Cards" avait clairement annoncé la couleur. Frank Underwood est un parangon d'ambition qu'aucun scrupule n'arrêtera pour parvenir sur la plus haute marche du pouvoir de la plus grande puissance mondiale. Déjà parvenu au poste de vice-président après un enchevêtrement de coups de billard à plusieurs bandes, où la manipulation et les mauvais coups ont joué à plein, Frank Underwood sait pouvoir compter sur Claire, son épouse, qui ne lui rend rien en matière de cynisme. La vision du pouvoir de Beau Willimon, le jeune scénariste de la série produite par David Fincher pour Netflix est pour le moins noire, les arcanes du pouvoir n'étant à ses yeux qu'un théâtre d'ombres où chacun n'est mu que par la peur du coup de poignard dans le dos qui menace ou par la tactique à mener pour monter la marche supérieure. Frank Underwood est à ce jeu le plus fort, concentrant sur sa personne tout l'arsenal du parfait opportuniste, sachant voir plus loin que les autres, anticiper les mauvais coups ou y réagir sans perdre son sang froid. Mais le plus important est sans aucun doute les risques qu'il est prêt à prendre pour écarter ceux qui pourraient le gêner.
Dans cette deuxième saison tout aussi passionnante que la première, il entend clairement s'emparer du poste de Président en provoquant de longue main une procédure d'impeachment, sachant très bien qu'il n'a aucune chance de parvenir à ses fins par la voie électorale. Garrett Walker (Michel Gill) est sans aucun doute un Président intègre et doté d'un solide pouvoir d'analyse, mais il semble avoir besoin d'un mentor en permanence à ses côtés pour orienter ses choix. C'est Raymond Tusk (Gerald McRaney), un industriel de l'énergie atomique qui occupe cette place enviable. Dès lors, le combat s'engage pour prendre le contrôle de l'hémisphère droit du cerveau d'un Président, d'autant plus hésitant qu'il est rapidement confronté à des problèmes de couple qui ne sont sans doute pas arrivés par hasard.
Les ingrédients sont peut-être toujours un peu les mêmes pour ce délicieux pot-au-feu servi par les chefs cuisiniers de premier plan que sont les David Fincher, James Foley ou Jodie Foster, mais la sauce au Kevin Spacey est tellement onctueuse que l'on prendrait bien un peu de rab pour une troisième saison.
Troisième saison (2015)
La marche forcée vers le pouvoir avait animé les deux premières saisons de "House of Cards". Le couple Underwood est désormais arrivé au sommet. S'engage alors pour Frank la dure épreuve de l'exercice de la présidence qui, aux États-Unis, est étroitement corsetée par l'autorité du Congrès avec lequel il faut toujours négocier au préalable. Frank Underwood se retrouve donc dans la position de Garrett Walker qu'il avait réussi à déboulonner en parsemant son parcours de chausse-trappes soigneusement dissimulées. Certes taillé dans un autre métal, le nouveau président use de tous les stratagèmes à sa disposition, mais la responsabilité militaire et diplomatique use sa résistance et sape son moral comme son physique de plus en plus alourdis.
Être sur la défensive pour préserver son autorité est sans conteste moins stimulant que chercher à décrocher le Graal. De plus, Claire, son épouse, a rapidement le sentiment que la victoire finale à laquelle elle a grandement participé ne lui profite guère, n'arrivant pas à se trouver un poste à sa mesure sans être immédiatement ramenée à son statut de première dame (allusion directe à Hillary Clinton durant le mandat de son époux Bill). L'humeur de Frank est donc plus morose et commencent à se poser les questions existentielles sur les raisons de cette quête effrénée qui l'a mené jusque-là. Les petites réflexions face à la caméra sont désormais moins fréquentes et surtout moins cocasses, Frank étant régulièrement en proie au doute.
Malgré la morosité qui gagne, cette troisième saison est toujours aussi passionnante, en partie grâce aux personnages secondaires plus développés, avec notamment le parcours douloureux et énigmatique de Doug Stamper (Michael Kelly) qui, en sus d'avoir frôlé la mort, doit faire face à l'ingratitude de son mentor qui le délaisse depuis qu'il est devenu président. Habilement, le scénario de Beau Willimon marie la vraisemblance avec la pure fiction, permettant au spectateur averti de garder une certaine distance avec le jeu de massacre que constitue la politique en démocratie, remplaçant de manière un peu dérisoire les combats de gladiateurs de l'empire romain.
Quatrième saison (2016)
Le mandat du président des États-Unis ne dure que quatre ans. Pour Frank Underwood qui a pris la suite du Président en exercice dont il a réussi à provoquer la destitution, ce ne seront que deux ans de jouissance d'un pouvoir durement gagné. La saison précédente a montré que le poids de la Maison Blanche use prématurément son locataire, y compris un Frank Underwood, au cuir pourtant plus que tanné. Entre deux théâtres d'interventions extérieures qui l'amènent le plus souvent à ferrailler avec Viktor Petrov (Lars Mikkelsen), le président russe, Frank doit commencer à penser à sa réélection. La partie ne s'annonce pas facile, les rancœurs accumulées dans le camp démocrate qu'il a passé son temps à manipuler et les exigences de plus en plus pressantes de Claire son épouse ne lui facilitant pas la tâche. Le président s'essouffle donc un peu, et cette quatrième saison avec lui, qui a du mal à prendre son envol.
De manière opportuniste, l'équipe de scénaristes coachée par Beau Willimon va puiser dans l'histoire profonde du pays en faisant de Frank Underwood le troisième président américain à être victime d'un attentat. Contrairement à John Kennedy et comme Ronald Reagan, Frank reste en vie mais gravement touché. On le voit, "House of Cards", pour alimenter sa fiction se nourrit de toute l'histoire des États-Unis, et particulièrement de ses moments les plus intenses (guerre de Sécession, épisode de la Baie des Cochons, attentat de Dallas...). Pendant l''absence de son époux, Claire gère les affaires à la place du vice-président atone, qui avait été justement choisi pour sa transparence. Une bouffée d'air bienvenue qui lui permet de renoncer au divorce pour aider Frank à battre Will Conway (Joel Kinnaman) son jeune adversaire républicain qui forme avec son épouse Hannah (Dominique McElligott) un couple tout aussi redoutable.
Les Underwood enfin revigorés vont pouvoir livrer leur ultime combat. À coup sûr, dans cette partie, les coups viendront tout autant du camp adverse que d'un passé sulfureux qui n'en finit pas de remonter à la surface. Après un début un peu hésitant, qui démontre une fois de plus la difficulté du format série à tenir la distance sur plusieurs saisons, l'histoire est habilement remise sur les rails. La cinquième peut donc nous emmener jusqu'au second mandat de Frank Underwood .
Cinquième saison (2017)
Le parcours des Underwood jusqu'à cette cinquième saison était ascensionnel, le couple n'hésitant jamais très longtemps pour mettre de côté les quelques principes qui les habitent quand il s'agit d'écarter ceux ou celles qui pourraient leur faire obstacle sur la route qui mène au pouvoir suprême de la Maison Blanche. Aidés du fidèle Doug Stamper (Michael Kelly) prêt à sacrifier sa vie pour la "cause", Frank et Claire n'ont pas ménagé leur peine depuis le début de la série, le bilan se montant à trois cadavres encombrant les placards d'une présidence toujours sous le coup d'une révélation, qu'il leur faut maintenant conforter avec l'élection qui s'annonce comme le théâtre principal de cette cinquième saison.
Déjà un peu usé par l'exercice du pouvoir et un attentat manqué, Frank Underwood doit maintenant faire face à un triple défi. Tout d'abord, mater les ambitions de Will Conway (Joel Kinnaman), un jeune candidat républicain charismatique, ancien héros de guerre. Ensuite, les affaires qui ne cessent de vouloir remonter à la surface malgré les efforts de Doug Stamper, qui veille comme un chien de garde sur les secrets du couple. Enfin, et sans doute le pire, son épouse, qui depuis un moment étanche sa libido dans les bras du scribe (Paul Sparks) en charge de l'hagiographie présidentielle, commence à réclamer son dû en s'imaginant dans la peau d'une vice-présidente pour le mandat qui s'annonce, voire plus si affinités. La cohésion sans faille au sein de ce couple parfois diabolique est un élément indispensable pour continuer à marcher sur la corde raide sans jamais tomber, et Frank ne le sait que trop bien.
C'est toute cette charge émotionnelle que va devoir gérer Frank Underwood durant la cinquième saison de "House of Cards", dont certains ont affirmé qu'elle était la plus faible, voire celle de trop. Si l'action progresse sans doute trop lentement, s'appesantissant trop lourdement sur l'épisode de l'élection étiré en longueur plus que de mesure, on pourra apprécier la très fine exposition des tourments psychologiques qui minent les protagonistes principaux de ce long voyage politique, qui sentent venir avec anxiété l'heure de rendre des comptes. La fin justifie-t-elle l'emploi de tous les moyens ? C'est à cette question lancinante et prosaïque que tente de répondre le scénario en empruntant par instants la voie du fantastique. La série semble désormais interrompue suite à la défection bien malgré lui de son héros. Peut-être est-ce au final la meilleure chose qui pouvait arriver à cette série qui fera date ?